A la fin de 1648 le Mercure anglais,première gazette française de Londres, disparaît. Dans l'intervalle confus où s'installe le gouvernement de la République, peu de journaux ont persisté. Mais en juin 1650 un nouvel hebdomadaire en français, Nouvelles ordinaires de Londres, paraît avec le même format, la même présentation (du jeudi... au jeudi...), la même typographie (fort inégale et déficiente), le même imprimeur: Robert White, le même distributeur: Nicholas Bourne, la même adresse. Le journal apparaît donc comme la continuation ou, du moins, la renaissance d'une entreprise semblable et il bénéficiera d'un public toujours en place et d'une expérience antérieure, qui lui assureront une meilleure réussite, qu'attestent sa durée et sa régularité, pendant dix ans, et le fait que, alors que le Mercure anglais est inconnu en France, on trouve deux importantes collections des Nouvelles ordinaires de Londres à la B.N. et à la B.M. de Grenoble. Si l'on n'en trouve en Angleterre que très peu d'exemplaires, cela ne signifie pas forcément qu'il n'y fut pas répandu, mais ce journal était davantage conçu pour l'exportation, et eut très vite un correspondant à La Haye.
A partir de 1660, l'existence des N.O.L. devient beaucoup plus chaotique et plus obscure. Les n° 520 à 525 relatent les fêtes, les proclamations, les solennités qui marquent le retour de la monarchie, ainsi que les détails de l'épuration. La narration reste neutre, sans commentaire, se bornant aux faits. Mais entre le n° 525 et le suivant, trois semaines s'écoulent. Le n° 526 (24 juin-15 juil.) explique le retard: «Nous avons été obligés les deux dernières semaines d'interrompre le cours ordinaire de nos relations par le caprice et la mauvaise humeur de l'imprimeur» (p. 3117), mais seule la mention de la dernière page où le nom de J. Macock est substitué à celui de Du Gard et celui de Jeanne Bourne à celui de N. Bourne, apprend aux lecteurs que le journal a changé de mains. Les deux numéros suivants ont du retard et annoncent encore des difficultés, puis la publication semble suspendue. Parmi les historiens, seul Williams nous apporte quelque renseignement sur la suite de l'histoire des N.O.L., que tous les autres historiens ont enterrées bien avant, sur la foi des collections incomplètes qu'ils ont consultées. Le seul numéro de 1663 qu'il a trouvé au P.R.O. prouve la survie de cette gazette, autant que son virage politique. Mais il faudrait retrouver d'autres numéros, sinon au-delà, du moins en-deçà: les quarante numéros qui parurent entre le 528 et le 567. Hatin signale une publication régulière jusqu'en 1668, date que nous préférons ne pas retenir pour le moment, n'ayant trouvé aucune confirmation, ni numéro des N.O.L. entre 1663 et 1668 (B.H.C, p. 90).
L'histoire des N.O.L. est très directement liée à celle de son imprimeur-rédacteur entre 1650 et 1660, et aux luttes politiques, aux changements de gouvernements, dans cette décennie capitale et mouvementée de l'histoire d'Angleterre. En 1650 Guillaume Du Gard descendant de huguenots, fils d'un ministre anglican, diplômé de Cambridge et pédagogue, était en charge d'une école depuis 6 ans, et il avait aussi une presse, d'abord à usage scolaire. En 1649 il imprima la première édition de Eikon basilike (défense de Charles Ier) et aussi l'ouvrage de Saumaise: Defensio regia. Cette prise de position royaliste en pleine révolution lui valut d'être arrêté, ses presses saisies et ce fut l'intervention de Milton qui le sauva, et même le convertit à la cause de Cromwell. Il fut rétabli dans ses biens et même nommé «imprimeur du Protecteur» (His highnes the Lord Protector's printer). Il reprit son impression de livres scolaires, et imprima aussi le livre de Milton: Eikonoklastes, réponse à Saumaise (pour sa biographie, cf. H.R. Plomer: Dictionary of Booksellers and Printers in London, 1641-1667, Oxford 1907).
L'historien J.B. Williams, suivi par Bastide, Ascoli et Frank, pense que ce fut sur l'ordre du gouvernement, et pour se dédouaner de ses sympathies royalistes, qu'il commença à publier les N.O.L., et que Milton y eut une part importante, ce qui reste à prouver. Nous avons relevé quatre courts passages où apparaît le nom de Milton (n° 30, 34, 125 et 198) qui sont en fait des annonces pour les livres de Milton dans sa controverse avec Saumaise.
J. Frank déclare: «N.O.L. were the Common Wealth version of the Mercure Anglois, as safe and dull, but a bit more professionnal». D'une gazette à l'autre, malgré le changement de gouvernement il y a une continuité certaine. Le M.A. était déjà pro-parlementaire avec une double visée, politique et religieuse, qui est reprise par les N.O.L., parce que, sans doute, le public est resté le même. Mais sous le Common Wealth, le régime de la presse est beaucoup plus contrôlé, et le périodique de Du Gard, imprimeur officiel, ami de Milton, ne peut diffuser que des nouvelles officielles. Ce qu'il semble avoir fait avec conscience et régularité, évitant les interpellations qui ont jalonné l'existence du M.A.
L'analyse du contenu a été très soigneusement faite par Bastide. Il relève les sentiments favorables à Cromwell, l'importance des nouvelles commerciales, l'intérêt pour les questions religieuses, et le ton, en général fort neutre. Mais quelle est la part du rédacteur et se borne-t-il à traduire? Nous avons étudié synoptiquement les N.O.L. et le Mercurius Politieus (pour l'année 1654, car c’est la seule période où la B.L. possède une collection des N.O.L.). Le M.P. paraissait le même jour chez le même éditeur. La disposition des nouvelles est tout à fait différente et nous n'avons pas trouvé de paragraphe traduit quand il s'agissait des mêmes nouvelles. Cela infirme l'opinion de M.P. Handover disant que Nedham, le rédacteur du M.P. avait donné avant la Gazette de Londres un bulletin de nouvelles traduit en français (p. 5, «Nedham's Politicus had similarly appeared in a French version»). Il est néanmoins certain que, comme le souligne Frank, sans l'appui de Nedham, le grand et – de 1655 à 1660, pratiquement – le seul journaliste du Common Wealth, le journal de Du Gard n'aurait pas pu paraître régulièrement et se maintenir pendant dix ans. Certain aussi que l'abandon de Du Gard en 1660 («son caprice et sa mauvaise humeur», N.O.L., n° 525, p. 3117) est l'expression d'une crise intérieure. Déjà en 1649, Du Gard avait retourné sa veste; une second volte-face politique semble difficile. Alger se demande si le journal était subventionné? Nous n'avons pas de réponse à ce sujet, mais il est évident que la question se pose, liée à celle de la circulation et de la réception de ce journal destiné à l'exportation et à la propagande. Knatchel démontre que la cause qu'il servait, surtout dans le contexte diplomatique du début de la décennie était compromise, et il ne dut pas être fort bien reçu en France ni par le gouvernement, ni par les huguenots. L'histoire de cette réception reste à faire. Frank dit «certainly Cardinal Mazarin one of its irregular readers had better sources of information» (p. 210). Il n'indique pas d'où il tire que Mazarin ait lu le périodique «irrégulièrement». La supposition est plausible, mais à vérifier. Mazarin (cf. Knatchel) suivait de très près la politique de Cromwell et pouvait préférer lire en français les nouvelles anglaises.
Comment, enfin, les N.O.L. circulaient-elles? On peut supposer un transit important par la Hollande. L'apparition d'une contrefaçon à La Haye dès 1651 prouve un certain succès car on ne contrefait pas, généralement, un ouvrage qui ne se vend pas. Une recherche serait à faire dans les bibliothèques hollandaises, qui permettrait peut-être d'éclairer l'existence du périodique après le retrait de Du Gard. Il resterait à faire encore une recherche historique sur la base d'une étude attentive du texte et d'une comparaison systématique et approfondie avec la presse anglaise du temps, qui permettrait de mieux comprendre et la portée diplomatique du périodique et la relation du rédacteur avec le pouvoir.