Etonné que la République de Hollande distinguée par son culte des beaux-arts, le nombre de ses « habiles gens » et « l'honnête liberté » de son imprimerie (Préface, mars 1684) n'ait jamais entrepris d'éditer un journal à la manière du Journal des savants pourtant imité par d'autres nations (Angleterre, Allemagne, Italie) et étendu à d'autres matières, P. Bayle, tenté à plusieurs reprises déjà de lancer un journal, s'y décide enfin après avoir vu le « projet » jugé défectueux d'un Mercure savant et s'être laissé convaincre par « un grand homme » (en l'espèce Jurieu). Au début de 1684, en effet, le libraire d'Amsterdam Desbordes publie, sous le titre de Mercure savant, deux tomes datés de janvier et février, rédigés par Blégny et Gaultier et composés de pièces mêlées relatives notamment à la médecine. C'est comme successeur de ces deux rédacteurs que Bayle est sollicité et c'est bien au Mercure savant que, pour des raisons mal éclaircies encore, se substituent les Nouvelles de la République des Lettres (D.P.2, art. « Gaultier »). Bayle, qui, en acceptant, n'a pas dû négliger l'intérêt financier de l'entreprise (ses ressources sont alors médiocres), commence à travailler dès le 21 mars (La Vie de M. Bayle) et son premier tome, quoique distribué seulement le 27 mai, est daté de mars, comme s'il s'agissait de souligner la continuité des deux journaux. Dans son propos liminaire, Bayle affirme d'emblée son intention de ne pas « établir un bureau d'adresse et de médisance », selon la tendance si marquée et si choquante des Blégny et Gaultier, mais d'observer « un raisonnable milieu entre la servitude des flatteries et la hardiesse des censures ». Déjà, dans une lettre à son frère citée par Hatin (G.H., p. 127-28), il précisait que, soucieux de « bien faire connaître » les livres qu'il analyserait, il parlerait « indifféremment des livres catholiques et des livres réformés et honnêtement de tout le monde ». La Préface y insiste: ni malignité ni prévention (même dans le domaine de la controverse religieuse) ne guideront le journaliste qui se présente sous les traits du « rapporteur » plus que du « juge ». En même temps, Bayle tient à justifier son entreprise face aux grands journaux de Paris, Londres et Leipzig justement renommés. Comme il le remarque, les journaux, qui, du reste, ne circulent pas partout, ne commentent pas tous les livres ou les commentent parfois tardivement. Et, quand un même livre serait évoqué par plusieurs périodiques, outre que la diversité de jugement est toujours agréable, l'article d'un journal publié en Hollande pourra satisfaire les Hollandais, s'il incommode les Parisiens… Pour perfectionner son ouvrage, Bayle, comme tout journaliste, compte sur l'établissement de correspondances et sur le concours des gens de lettres du pays. De fait, il a eu l'avantage de disposer d'un réseau d'information étendu et efficace – à Paris (Janiçon), à Londres (Justel), à Oxford (Larroque), à Heidelberg (Lenfant), à Hambourg (La Conseillère)…, et de recevoir de nombreux mémoires en réponse aux appels lancés, ce qui lui a permis de mener à bien sa tâche (E. Labrousse, art. cité).
Dès les premiers tomes, dont le deuxième, daté d'avril, est en librairie le 2 juin (les tomes ultérieurs paraissent les premiers jours du mois qui suit celui dont ils portent mention), les Nouvelles sont très favorablement accueillies et le succès, immédiat, ne se démentira pas. Habile à saisir les goûts du public, docile aux suggestions qui lui sont faites (éviter l'excès des louanges, introduire plus d'agrément…, Avertissement, août 1684), Bayle se hisse au premier rang des journalistes; il est félicité par l'Académie française, la Société royale de Londres, la Société de Dublin (La Vie de M. Bayle), et son périodique, qui assure la notoriété aux livres dont il rend compte, se répand dans l'Europe savante. De ce succès témoigne, entre autres, le Mercure galant (nov. 1684, Au lecteur) qui voit dans les Nouvelles « un journal des savants » « plus étendu » et plein de « sel » (l'Histoire des ouvrages des savants parlera de « sel attique », sept. 1687, Préface). Et la proposition qu'il fait de publier des réponses d'auteurs mécontents des remarques de Bayle (proposition acceptée de bon cœur par l'auteur ; Avertissement, janv. 1685) est un hommage indirect à la valeur du périodique.
« Nous agirons avec tant de circonspection », affirmait la Préface de mars 1684, « que ces Nouvelles ne seront pas défendues ». En fait, elles le furent en France en janvier 1685 (sur les prétextes avancés et les raisons véritables, voir l'article d'E. Labrousse). Mais elles n'en continuèrent pas moins à pénétrer dans le royaume et à susciter l'avidité des lecteurs (jusqu'à la Cour).
Lorsque s'ouvre la deuxième année, Bayle quitte l'anonymat auparavant observé. La page de titre porte désormais la mention: « Par le Sieur B... Professeur en Philosophie et en Histoire à Rotterdam ». Dans un court Avertissement, il précise qu'il a songé à dédier son journal aux magistrats de la ville (dont la protection a été assurément efficace), mais qu'il y a renoncé, incertain du succès de l'entreprise et trop certain des railleries que font naître les épîtres dédicatoires.
Au début de la troisième année, il éprouve le besoin de se justifier d'un défaut qui lui est reproché, à savoir que « les Nouvelles ne parlent point des livres des autres pays ». Lui qui s'est voulu le « rapporteur » d'une République européenne des Lettres est obligé de reconnaître que, contrairement à ce qu'il croyait en 1684, la Hollande est singulièrement pauvre « en tout ce qui s'imprime de meilleur dans toute l'Europe ». De France, ne viennent que peu de livres nouvellement imprimés, même si certains viennent à la dérobée ou sont contrefaits ; de Pologne, de Suède, du Danemark, d'Italie et d'Espagne, il ne vient rien. La disette est grande aussi des ouvrages d'Angleterre, pourtant « si nombreux et si beaux ». C'est seulement d'Allemagne que des livres arrivent grâce aux deux foires de Francfort ; encore ne sont-ils pas tous de haute qualité. Bayle déclare qu'il reste l'œil aux aguets ; mais l'on sait que, sous sa direction, les Nouvelles,en dehors d'ouvrages français et latins, n'analyseront que deux ouvrages italiens et un petit nombre d'ouvrages anglais.
Cependant voici qu'en février 1687 (Avis au lecteur), Bayle s'excuse de publier « incomplètes » les Nouvelles du mois en raison d'un « mal d'œil » et d'une « fièvre » intermittente. En mars, un nouvel Avis souligne la disparition de la mention du titre: « Par le Sieur B…». C'est que Bayle, toujours incommodé, n'a ni composé ni même lu le volume; ce sont « d'habiles gens » qui l'ont rédigé à sa place et qui se substitueront à lui aussi longtemps que nécessaire (Avis au lecteur, avril, mai, août 1687). Succombant « sous le poids d'un travail trop opiniâtre » (La Vie de M. Bayle), Bayle, pour qui les années 1684-1686 ont été sans doute parmi les plus fécondes, mais aussi les plus harassantes, se voit obligé de renoncer définitivement à son activité journalistique, et, tandis que Desbordes, propriétaire du titre et soucieux de poursuivre l'entreprise, fait appel à « diverses plumes » (D. de Larroque, J. Le Clerc.) avant de confier, en septembre, au seul J. Barin la rédaction des Nouvelles,il engage, lui, Basnage de Beauval à le relayer : c'est ainsi que naîtra, en septembre 1687, l'Histoire des ouvrages des savants, publiée à Rotterdam chez Leers.
J. Barin, pasteur protestant, travaille aux Nouvelles jusqu'en avril 1689 (La Vie de M. Bayle). Le périodique s'interrompt alors et ne reprend son cours que dix ans après, en janvier 1699. Si l'on en croit la Préface qui ouvre la première livraison, Desbordes aurait, malgré de pressantes sollicitations, refusé la reprise de la publication en raison de l'état de guerre (c'est l'époque de la Ligue d'Augsbourg) et de ses conséquences (interruption du commerce et ralentissement de l'activité des presses). Quoi qu'il en soit, sur le conseil de Le Clerc, il choisit comme rédacteur Jacques Bernard, pasteur wallon, ami de Bayle avant de devenir son adversaire, et auteur des cinq derniers volumes de la Bibliothèque universelle (t. XX-XXV). J. Bernard rappelle comment, après bien des hésitations, il s'est laissé convaincre par le libraire selon qui les Nouvelles ressuscitées ne sauraient porter tort aux périodiques existant en langue flamande, latine et française. Se référant à la méthode de Bayle qu'il salue comme « l'inimitable auteur » de la République des Lettres, il entend être aussi exact que possible, observer « une honnête liberté » hors de toute «partialité déraisonnable», et revendique « la fonction d'historien » et non celle de « juge ». Mais cet écrivain laborieux au style diffus, déjà inférieur à Le Clerc lorsqu'il lui succède à la Bibliothèque universelle, se révèle un continuateur assez médiocre de Bayle dont le talent avait si fortement marqué les Nouvelles. Régulièrement publié pendant plusieurs années, le journal connaît un retard en 1708 quand Henry Desbordes vend son fonds et quand les Nouvelles et le droit de les imprimer passent entre les mains de Pierre Mortier (Avis de l'auteur, juil. 1708). Mais celui-ci se promet de regagner le temps perdu avant janvier 1709, tandis qu'il espère, grâce à son commerce étendu et à ses « bonnes correspondances », permettre l'analyse de « plus de livres » et de « meilleurs » (le périodique a précédemment souffert des effets néfastes de la guerre). Cependant, le nouvel acquéreur ne s'accommodant pas avec le journaliste (Eloge de M. Bernard, mai-juin 1718, p. 296), les Nouvelles cessent de paraître en décembre 1710. Elles renaissent en janvier 1716. J. Bernard, qui déclare s'être senti libre de ses engagements à la suite de la mort de P. Mortier, accepte, à la demande de David Mortier, de reprendre son travail (Avertissement de l'auteur, janv.-févr. 1716). La livraison est désormais publiée seulement tous les deux mois et son petit nombre de feuilles ne permet pas d'insérer les mémoires envoyés (Avis de l'auteur, janv.-févr. 1717). Victime d'une inflammation de poitrine, J. Bernard, qu'accablent de lourds fardeaux, ne peut achever le volume de mars-avril 1718 (c'est Le Clerc qui rédige le dernier article) et meurt le 27 avril. David Mortier a le dessein de poursuivre et confie à Le Clerc le soin de composer la livraison de mai-juin. Mais un Avertissement placé en tête de cette livraison nous apprend que c'est la dernière et que les Nouvelles de la République des Lettres peuvent être dès lors considérées comme formant un ouvrage complet.