JOURNAL DE PARIS

0682
1777
1840

Titre(s)

Journal de Paris (1er janv. 1777-12 août 1792, 1er-5 oct. 1792).

Devient ensuite: Journal de Paris national (6 oct. 1792-20 févr. 1795 [2 ventôse an III]); puis: Journal de Paris (21 févr. 1795-30 sept. 1811).

Continué par: Journal de Paris, politique, commercial et littéraire (1er oct. 1811-juin 1827); Nouveau Journal de Paris et des départements, feuille administrative, commerciale, industrielle et littéraire (1er août 1827-11 juin 1829); La France nouvelle, nouveau Journal de Paris (12 juin 1829-9 juin 1833); Journal de Paris, nouvelliste du matin et du soir (10 juin 1833- 5 juil. 1834); Journal de Paris et des départements (6 juil. 1834-8 févr. 1837); Journal de Paris (9 févr. 1837-17 mai 1840).

Voir la suite dans le catalogue de la bibliothèque de l'Arsenal.

Dates, périodicité, privilège(s), approbation(s)

1er janvier 1777-17 mai 1840. Date du privilège: 11 septembre 1776 (B.N., Registre des privilèges, ms. f. fr. 21967, n° 947). Date du prospectus: 11 octobre 1776 (B.H.V.P.). Quotidien, sept jours sur sept.

Le J.P. a été suspendu du 19 au 23 janv. 1777 (les numéros n'ont pas pu être imprimés), le 19 juin 1781 et du 4 au 27 juin 1785 (les numéros ont été imprimés, il n'y a donc pas de lacune dans la collection); du 13 août au 30 sept. 1792 (2 cahiers séparés publiés dans l'intervalle de la suspension). Deux suppléments annoncés en 1789 et plusieurs en 1790 n'ont pas été publiés ou conservés (lacune dans la pagination à la B.N.).

Description de la collection

4 p. par numéro; en 1777: pagination par numéro. A partir de 1778: pagination continue sur un an, y compris les suppléments de 2 ou 4 p., quelquefois plus; on le trouve relié en général à raison de deux tomes par an. Dimensions du cahier: in-4°, 175 x 245.

Pas de frontispice: les gros caractères du titre et le tableau des observations météorologiques constituent la seule illustration, occupant une demie puis un quart de page. La météo disparaît en octobre 1792. L'adresse est indiquée au colophon.

Gravures: 20 févr. 1777: une coiffure (Maz.); 1er janv. 1780: J.J. Rousseau à Ermenonville, dessinée par Mayer, gravée par Moreau; 27 oct. 1782: machine ou «Glossocome» appliquée à la luxation du bras (B.N.); 19 sept. 1783: ballon aérostatique.

Édition(s), abonnement(s), souscription(s), tirage(s)

«Le Bureau d'abonnement est rue du Four S. Honoré, la troisième porte cochère au-dessus de la rue des Deux-Ecus, en face de l'Hôtel de Soissons; c'est là qu'il faut envoyer, à l'adresse de M. de la Place, Directeur de ce journal, tous les objets qui y sont relatifs». Le 20 janvier, le nom de de La Place disparaît.

Le journal a changé plusieurs fois d'adresse: «Le bureau du Journal de Paris et celui des Sçavans est actuellement rue de Grenelle Saint Honoré, à l'ancien hôtel de Grenelle, la 3° porte cochère à gauche après la rue du Pélican...» (15 sept. 1779-26 juin 1785); rue Plâtrière, n° 11 (27 juin 1785-26 sept. 1790); rue Plâtrière, n° 14, rebaptisée par la suite rue Jean-Jacques Rousseau (27 sept. 1790).

Imprimeurs, de 1777 à 1790: Quillau, imprimeur de S.A.S. Mgr. le Prince de Conti, rue du Fouare. Quillau est aussi imprimeur de la Faculté de médecine et du Collège de pharmacie auquel est attaché Cadet de Vaux; à partir du 2 oct. 1790: imprimerie du Journal de Paris ; 1795: «imprimerie des Citoyens Corancez et Roederer» (n° 234, an IV).

De 1777 à 1782: «Le prix de la souscription, pour l'année, est de 24 £ pour Paris et de 31 liv. 4 s. pour la province»; de 1782 à 1793: 30 et 33 £ (annexion du Nécrologe et du Journal des Deuils de la Cour); 1er oct. 1793: 36 £ tant pour Paris que pour les départements; 20 £ pour 6 mois; vers 1796: 500 £ pour 3 mois; 1797: 30 £ par an pour Paris, 33 £ pour les départements; on s'abonne pour un an, six mois et trois mois.

13 décembre 1789: «Nous imprimerons l'annonce journalière des différents spectacles de la capitale dans un Bulletin séparé, qui sera envoyé, à dater de ce jour, sous l'enveloppe de la feuille, aux Abonnés de Paris et de la Banlieue... Ce surcroît de dépense ne changera rien au prix de la souscription». 23 décembre: des souscripteurs de province veulent la feuille des spectacles; augmentation de 3 £ par an pour ceux qui le désirent (2 deniers pour le port); (vu à la B.N.: 1 page tous les 3 jours en 1790).

Prix des suppléments: «Les personnes qui auront des Prospectus et Avis particuliers de librairie à publier, et qui voudront les faire imprimer par forme de Supplément au Journal de Paris, peuvent s'adresser au Directeur. Les frais d'impression, de papier et de distribution d'une Feuille de supplément, composée de huit colonnes ou quatre pages, reviennent à 216 £. Lorsqu'on employera moins d'une Feuille, on payera sur le pied de 27 £ par colonne; mais chaque objet doit composer au moins une colonne, ou coûtera autant que s'il la remplissait; lorsqu'un article excédera une ou plusieurs colonnes, cet excédent coûtera 13 £ 10 sols s'il a moins d'une demi-colonne; et 27 £ s'il contient plus. Indépendamment des prix fixés ci-dessus, on remettra au bureau un Exemplaire des ouvrages nouveaux annoncés dans les Prospectus» (nov. 1786); «Les circonstances ayant occasionné une forte augmentation de dépenses dans l'impression du journal, surtout dans les frais de poste devenus très considérables, nous sommes forcés de proposer un nouvel arrangement pour les articles qui pourront être publiés en supplément; 36 £ pour chaque colonne; 21 £ la demi-colonne; 9 £ pour tout article en dessous. Notre intention est de multiplier dorénavant les suppléments...» (8 nov. 1789).

«Frais d'impression des dons et contributions patriotiques du 20 octobre 1789 au 8 janvier 1790, soldé par ordre de M. le 1er ministre des finances, en date du 21 Août 1790»; au total: 7 540 francs pour 29 feuilles ou 116 p.; lettre signée De Lessart à M. Dufresne; «Les Directeurs du Journal de Paris [...] m'ont remis un état qui porte cette dépense à 260 £ pour chaque feuille; les frais d'impression et de fourniture de papier absorbent un peu plus des 2/3 de cette somme, le surplus étant payé à la poste pour les frais de transport» (B.H.V.P., ms. 760).

Roederer, intervenant dans le débat sur un nouvel impôt sur le Timbre, précise que les frais d'expédition absorbent plus de la moitié du prix des souscriptions aux journaux (J.P., janv. 1791).

Selon Meister, Sautereau (voir section 5) recevait 1 800 £ d'appointements (C.L., juin 1785). Garat reçoit, en 1791, 32 000 £ pour sa chronique politique de 1789 à 1791.

Selon Garat, le journal procurait aux propriétaires dès la première année 100 000 £ de rentes: entre 1795 et 1798, Roederer et Corancez se partagent les bénéfices à parts égales, soit au total: en 1795, 190 977 £ 1 sol 6 deniers; en 1796: 654 374 £ 12 s. en assignats, 28 770 £ 12 s. en argent; en 1798: 41 621 £ 12 s. Mais certaines personnes devaient être associées au capital. Ainsi, De Cresbos Woldemar reçoit, le 14 brumaire an IV, à titre de revenu de son capital placé sur le J.P. 3000 £. En janvier 1795, Roederer achète la moitié du journal à Corancez pour la somme de 73 000 francs (on suppose que Corancez était resté alors seul propriétaire); à la veille du 18 brumaire, Corancez est forcé de vendre sa part à Maret pour 53 000 francs (A.N., papiers Roederer).

Dès la première année, le journal a plus de 2 500 abonnés; au 28 novembre 1779, voir une lettre de l'abbé Baudeau au J.P. «Vous faites faire sans scrupule 5 ou 6 mille copies de votre Journal par deux Imprimeurs, au lieu de payer 5 ou 600 personnes qui vivraient toute l'année du travail de vous le transcrire». Palissot avance le chiffre de 5 000 pour 1782; Garat note dans ses Mémoires qu'il avait plus de 12 000 abonnés en 1791. An IV (1795): Roederer se plaint qu'à l'achat Corancez l'ait assuré de 3 700 abonnés alors qu'il n'en voit en réalité que 3 000. An VII (sept. 1799), Roederer: «mon associé Corencez me reproche les mille abonnés perdus alors que c'est moi qui travaille à les regagner». An XI (1802): 600 abonnés (A.N., papiers Roederer).

Publications associées: de 1778 à 1789, on s'abonne «pour ce journal et celui des Sçavans». Bien que rien ne l'indique dans le texte du privilège, on sait que le Journal de Paris devait payer une redevance au Journal des savants. J.P., 30 janv. 1780: «Le Bureau du Journal de Paris ne s'occupe plus de l'abonnement au Manuel bibliographique des amateurs ».1782: le J.P. achète le privilège du Journal des deuils et du Nécrologe en échange d'une redevance annuelle de 4000 £ (voir Palissot). Voir l'avis inséré dans le J.P. du 21 mars 1782.

Voir autres détails dans l'historique du journal.

Fondateur(s), directeur(s), collaborateur(s), contributeur(s)

Fondateurs: «Olivier de Corances, De Romilly, Dussieux et Cadet le Jeune» (B.N., R.P. 21967). Garat prétend qu'en juillet 1785 les fondateurs offrirent une part de leur privilège à leur nouveau censeur, Suard; mais lorsqu'en 1790 Palissot intente un procès aux «entrepreneurs-associés» du J.P., il ne mentionne que «Romilly, Cadet, Corancet, Xhrouet». D'Ussieux a pu vendre sa part à Xhrouet soit en 1786 soit en avril 1789 (date à laquelle il a quitté le journal, selon Deschiens dans sa Collection de matériaux pour l'histoire de la Révolution, Paris, Barrois, 1829).

Les propriétaires écrivaient régulièrement dans leur journal: 1777-1786 ou avril 1789, d'USSIEUX pour les spectacles; 1777-1792, Jean de ROMILLY pour le bulletin météorologique; 1777-1799, CORANCEZ pour la littérature; 1777-1792, Antoine-Alexis CADET DE VAUX, pour les sciences. SUARD a toujours envoyé des articles au journal. De juillet 1785 à 1789, il succède à Sancy comme censeur du J.P. et reçoit comme tel une pension de 12 000 £. Mais le gouvernement exige qu'il soit intéressé aux bénéfices et rédacteur du journal; selon Garat ses articles «multiplièrent le plus les abonnements»; Suard s'éloigne du J.P. en 1790 puis revient avec une nouvelle équipe de novembre 1791 au 12 août 1792.

Directeurs: après la courte apparition de La Place, le nom du directeur n'est plus publié, mais des quittances et des lettres attestent que Jean-Michel Xhrouet était directeur au moins entre 1786 et 1791. Ledoux directeur: quittances datant de l'an III (B.H.V.P., ms. 4012); il est encore directeur en l'an IX. Fougeroux, caissier du J.P. en l'an IX; Gallais, directeur du J.P. en l'an XII.

Rédacteurs salariés: avril 1789, Sixte SAUTREAU DE MARSY; 1789 - sept. 1791, GARAT; 23 oct. - 11 nov. 1791, CONDORCET; nov. 1791 - 12 août 1792, RÉGNAUD DE SAINT-JEAN D'ANGELY.

Suard constitue une équipe avec A. Chénier, Roucher, Chéron qui écrivent dans les suppléments du J.P. et parfois dans le corps même du journal. Après le pillage de l'imprimerie par les insurgés, l'équipe est dissoute; Corancez reste seul propriétaire; en octobre, Condorcet, Sieyès, Garat, Cabanis donnent leur caution au journal mais seule la signature de ROEDERER apparaît. Il rédige les articles «Convention Nationale du 1er oct. 1792 au 28 mai 1793» (voir J.P., 19 oct. 1792 et 3 juil. 1793). 1793, 1796: on voit les signatures de Villeterque, M.J. Chénier, François de Neufchâteau, Andrieux, Collin Harleville, Picard, Audoin, F. Faulcon, Boinvilliers, Alexis (chronique théâtrale), Robin (finances), Lamontagne, Lalande, L.S. Mercier.

Roederer revient au J.P. en 1795. An IX: Fabien Pillet, L'Ecuy, puis Gallais, rédacteurs.

Contenu, rubriques, centres d’intérêt, tables

Le prospectus annonce que le Journal de Paris sera «la correspondance familière et journalière des Citoyens d'une même ville». Il doit être «utile et agréable». Voir plus bas l'historique du journal.

Le J.P. publie deux douzaines d'airs notés en 1777 et 1778; à partir de juillet 1785, le J.P. est chargé des annonces de la Chambre syndicale: «Etat des livres, Estampes, etc. dont les exemplaires ont été fournis, en vertu de l'arrêt du conseil d'Etat du Roi, du 16 Avril 1785, annoncés dans ce journal subsidiairement à celui des Savans, conformément à l'article XI dudit Arrêt» (J.P, 11 juil. 1785). Mais cette rubrique cessa dès le 14 janv. 1786.

Le J.P. annonce in extenso les résultats des tirages de la Loterie royale de France, les remboursements des emprunts, etc.

A partir de novembre 1786, suppléments payants: le J.P. doit batailler contre les Petites Affiches et le Mercure pour obtenir le droit de faire des annonces commerciales; il insère même deux annonces immobilières in-8°; en fin de compte il n'obtient ce droit que pour les «avis de libraires, d'auteurs ou des réclames pour des "établissements"». Ce n'est donc qu'à partir de novembre 1789 que le J.P. peut annoncer les «biens à vendre», rubrique qui devient très importante au moment de la vente des biens nationaux (1791). En 1792, ces suppléments payants servent de tribune politique.

En 1790, le journal reprend la chronique judiciaire qui lui avait été interdite en 1777. C'est dans cette rubrique qu'on trouve la liste quotidienne des condamnés sous la Terreur et après. A partir de 1793, les questions financières et monétaires tiennent la plus grande place. En 1795, Roederer réintroduit les articles de littérature et de philosophie. Ceux de l'an VII ont été recueillis l'année suivante dans: Opuscules mêlés de littérature et de philosophie, B.N., 8° Z 10146.

Tables 1789, 1790, 1791: M. Topin, notaire royal à Ham, a fait paraître des Tables du Journal de Paris ; «prix: 3 livres les deux années; au bureau du Journal; Celle de 1791 paraîtra dans les premiers mois de 1792» (publicité parue en 1791 dans le J.P.). Ces tables n'ont pas encore été retrouvées; Firmin-Didot prétend qu'elles ont été ajoutées à la fin des années en question, mais on ne sait toujours pas dans quelle collection.

Localisation(s), collections connues, exemplaires rares

Collections complètes: B.N., 4° Lc2 80, salle des périodiques, microfilm D. 80; Maz.; Ars., 4° Jo 18680H; B. Arts et archéologie; B.H.V.P.

Bibliographie

Une édition abrégée a été publiée de 1777 à 1781 au moins (B.N., 4° Lc2 82). Toutes les histoires de la presse mentionnent le Journal de Paris. Voir surtout H.P.L.P, t. V, p. 126-223, pour la période révolutionnaire.

Mentions dans M.S., C.L.; Les Tableaux de Paris de L.S. Mercier; Correspondance secrète, politique et littéraire de Metra et Imbert (compilation de Londres); t. 3, p. 414; t. 4, p. 13, 66, 101, 120, 149; t. 5, p. 123, 252, 402 (chanson); t. 6, p. 113, 120; t. 7, p. 11, 414-416; t. 9, 17 mars 1780; t. 10, p. 67, 421 (chanson), 427 (vers); t. 11, p. 179, 231, 319 sq.; t. 12, p. 127, 281 (chanson); t. 13, p. 113; t. 14, p. 88; t. 15, p. 377, 396; t. 18, p. 49, 64, 9 et 17 juin 1785 (+ chanson); Correspondance littéraire secrète pour 1787-1789, Lettre d'un Parisien à son ami, député du Tiers-Etat, 3 p., in-8°, B.H.V.P., 953843; Le Bonheur primitif de l'homme ou Les Rêveries patriotiques, Amsterdam-Paris, 1789 (Olympe de Gouges); Prospectus d'un Dictionnaire d'exagération, s.l.n.d. (Cerutti); Réclamation d'un homme de lettres contre Romilly etc., Paris, 1790, Palissot.

Rééditions: 1783, la Biblio. physico-économique, instructive et amusante publie des extraits de lettres au J.P., p. 291-387; 1789, la C.L.S. mentionne Le Dépositaire ou Choix de lettres sur différents sujets, compilation des lettres envoyées au J.P. (20 juin 1789); 1789, publication d'un Abrégé du Journal de Paris, par M. Mugnerot, selon B.H.G., 4 vol. in-4° (B.N., 4° Lc2 82).

Des journaux provinciaux ont recopié des extraits du J.P. pendant la Révolution, notamment un périodique intitulé Courrier de la Veille-Journal de Paris avec en sous-titre: «réimprimé à Nantes, auquel on a joint une analyse exacte de tout ce que les autres papiers publics offrent d'intéressant en nouvelles diverses, anecdotes, critiques, etc.» chez Louis, libraire, place Louis XVI, 1791, trois sous le numéro, 24 £ à l'année. Seuls les 31 numéros du mois de janvier, formant un volume in-8° de 248 p. se trouvent à la B.N. sous une cote dérivée de celle du J.P., bien que la moitié de son contenu n'en provienne pas, et que l'esprit de celui-ci n'y soit pas tout à fait rendu (un passage significatif du compte rendu du J.P. n° 167, qui rendait hommage aux dames de la Halle, censuré). En revanche, le périodique intitulé Etats-Généraux – Extraits du Journal de Paris puis Assemblée nationale – Extraits du Journal de Paris constitue une véritable réimpression de tous les articles politiques du J.P. Imprimé à Bordeaux chez Michel Racle, imprimeur du Gouvernement, rue Saint-James, il a été relié, au fur et à mesure de sa parution, en 8 tomes de 600 p. environ. Le n° 1 démarre au 20 mai 1789, le dernier numéro est celui du 29 mars 1791. Les indications d'édition ne sont données qu'en page d'avant-garde dans le premier volume, les numéros ne comportent ni prix ni adresse. On a vu que Garat, l'auteur de ces chroniques politiques, était originaire de Bordeaux.

On trouve à la B.H.V.P. une édition abrégée en fac-similé, pour la période révolutionnaire, avec table des matières analytique (L. Ponomarenko et A. Rosset, Editions Les yeux ouverts, Paris, 1968).

Le Quotidien de 89 (18, rue des Ecoles, Paris) réédite une partie de l'année 1789, en fac-similé. — Cahiers Roucher-Chénier, années 1980, 1982, 1985. — Delafarge D., Vie et Œuvre de Palissot, Paris, 1912. — Fabre J., Chénier, Paris, 1965, p. 106-114. — Moureau F., «Les inédits de Rousseau et la campagne de presse de 1778», Dix-huitième siècle, 1980, n° 12.

Historique

Le 9 mai 1791, présentant l'ouvrage Sur l'administration de M. Necker, par lui-même, le rédacteur du Journal de Paris révèle les origines du périodique: «Le Journal de Paris date son existence de l'entrée au ministère de M. Necker». Le journal se flatte d'avoir toujours soutenu ce ministre, même lorsqu'il était disgracié, et «sans craindre de déplaire à l'autorité».

Le journal prit-il vraiment un risque lorsqu'il annonça, avec les autres, De l'importance des idées religieuses, en 1788, avant le retour de Necker? La réponse aurait été plus probante s'il avait annoncé, en 1785, De l'administration des finances. Il ne le fit pas et il serait vain de le lui reprocher. L'existence d'un quotidien impliquant un gros investissement matériel et financier exigeait une «protection et des facilités» de la part du gouvernement, ainsi que le précise le prospectus. Mais on peut supposer que Necker plus que tout autre comprit qu'on pouvait conquérir l'opinion publique en laissant ceux qui adhéraient aux idées nouvelles donner de l'Etat l'unique image d'une administration éclairée et en gommer d'autres aspects essentiels mais moins défendables. Roederer notera en 1832, à propos de ce premier quotidien: «avant la révolution il servait aux progrès des Lumières et surtout à ceux du Gouvernement».

Les premiers propriétaires du J.P. étaient des bourgeois obscurs mais possédant de nombreuses relations dans les milieux progressistes, surtout les encyclopédistes et le parti américain, et chez les financiers.

Guillaume Olivier, dit Olivier de Corancez, assurera la continuité du journal jusqu'en 1799. Lié au milieu protestant et genevois par sa femme et son beau-père Romilly, il défend J.J. Rousseau en toute occasion. La famille oscille entre le protestantisme et l'athéisme et idéalise la République genevoise. Corancez a été reçu chez Helvétius, le duc de Penthièvre, la marquise de Villette et le banquier protestant Delessert (voir D.P. 2). Sa fille, Julie de Cavaignac, dit dans ses Mémoires, que Turgot orienta sa carrière, mais que ce fut Hue de Miromesnil (un «réglementaire» partisan de Necker) qui «créa pour lui une source de fortune qui l'approchait de l'opulence quand arriva la Révolution». Il s'agit du J.P. En réalité, il semble que Corancez ne se soit intéressé qu'à la poésie et sa propriété de Sceaux accueillit tous les hommes de lettres qui écrivirent dans le journal et notamment J. A. Roucher.

L'horloger Jean de Romilly et son fils, le pasteur protestant Jean-Edme, ont écrit pour l'Encyclopédie. Comme il le dit lui-même dans le J.P. du 23 décembre 1781, il fut «chargé personnellement des Observations météorologiques qui s'impriment journellement dans le Journal de Paris».

Un associé, bien plus entreprenant et ayant un plus grand sens des affaires, semble avoir régné sur le journal au moins jusqu'en 1789: l'apothicaire, chimiste, censeur royal, inspecteur des objets de salubrité, A.A. Cadet de Vaux. Avec lui, c'est le milieu académique et maçonnique qui est représenté. Cadet de Vaux a connu Diderot, il fréquente Franklin. Il est très lié à son frère, Claude Cadet de Gassicourt, de l'Académie des sciences, un habitué du salon de Mme Geoffrin. Cadet de Vaux couvre pour le J.P. le séjour de Voltaire à Paris en 1778, comme en témoigne une lettre autographe (Paris, coll. part.): «Voltaire n'avait pu assister à la première représentation [d'Irène], à laquelle j'assistai et allant lui communiquer l'article que je venais de rédiger pour paraître le lendemain dans le Journal de Paris dont j'étais l'un des propriétaires». Attaché à la personne du lieutenant de police Lenoir, fidèle de Necker, il fait du J.P. l'organe de diffusion des réformes gouvernementales, le propagandiste des Lumières.

Bachaumont, dans ses Mémoires secrets, croit en novembre 1776 que les fondateurs du J.P. sont de La Place, d'Ussieux et Senneville et semble ne les pas connaître. De La Place ne fut pas propriétaire mais directeur du journal pendant seulement trois semaines. Senneville est vraisemblablement une confusion pour Saineville. Cadet de Saineville, frère de Cadet de Vaux, était censeur royal, attaché aux Trudaine, partisan de Turgot, mais toujours en place après la chute de celui-ci. Peut-être a-t-il cautionné l'entreprise de son frère auprès du directeur de la librairie. En tout cas, Bachaumont est persuadé qu'un journal de ce genre ne peut «avoir lieu que par la plus intime liaison avec la Police». La Correspondance secrète semble plus avertie et favorable. Elle aussi relève le nom de d'Ussieux. Historien, dramaturge, ami intime de Barthélémy Imbert et de Roucher, fréquentant la «société de Guillaume Wasse» marquée par l'athéisme, d'Ussieux est présenté comme le rédacteur du J.P. Il donnera surtout des critiques de théâtre (J.P., 10 oct. 1779) et est sans doute responsable de la rubrique «Trait historique» qui disparaît en 1786. Il est donc le seul homme de lettres de l'équipe. On retient de Corancez qu'il est commis des fermes (probablement dans la poste) et de Cadet de Vaux qu'il est apothicaire. Cela suffit aux faiseurs de pamphlets pour trouver matière à les brocarder à la moindre occasion.

Les entrepreneurs devaient avant tout résoudre les problèmes matériels que posait cette entreprise sans précédent. Le terme «entrepreneurs» correspondait bien à la situation: ils avaient fondé une entreprise commerciale et non une feuille d'auteur. Ils se sentaient donc tenus de produire une marchandise de qualité, et de la distribuer tous les jours, à heure fixe. Il fallait régler les problèmes de tirage et de diffusion.

L'impression fut confiée à l'imprimeur du prince de Conti, Quillau, rue du Fouare. Quelques indices nous permettent de penser que cette commande occupait l'essentiel de ses activités. Au début, il était débordé. Les 25 et 26 mars 1777, le journal fut d'ailleurs imprimé chez Moutard. Un premier retard survint le 10 avril 1777. Les rédacteurs avaient consacré leur journal aux résultats du premier tirage de la Loterie royale, créée par l'Edit de janvier 1777. Les rubriques habituelles avaient été rejetées dans des suppléments de 2 et 4 p. Du coup, ils s'étaient trouvés dans «l'impossibilité d'avoir pu terminer l'impression de la feuille avant cinq heures du matin». Il en fut de même les deux jours suivants.

Le travail se faisait de nuit puisque le prospectus prévenait que les articles pourraient «tre publiés le lendemain s'ils étaient apportés au journal avant 9 h du soir». Il fallut sûrement des tractations avec la communauté des imprimeurs. Malgré tout, c'est dans la technique d'impression que résidait une des clés du problème. Le 18 janvier 1783, ils annonçaient qu'ils se déterminaient «à faire un sacrifice qui leur occasionnera une très grande augmentation de frais et telle qu'elle ne peut être exactement appréciée que par les personnes qui connaissent le mécanisme de l'imprimerie». Il s'agissait de sortir le journal plus tôt: «les Abonnés du Journal de Paris le recevront, quel que soit le quartier qu'ils habitent, le matin d'assez bonne heure pour en avoir pris lecture avant que les affaires ordinaires les appellent hors de chez eux».

Les Avis des 6 janvier et 11 avril 1777 nous renseignent sur les délais de diffusion: lorsque de 1777 à 1783 les feuilles devaient être imprimées à 5 heures du matin, les paquets étaient diffusés à Paris entre 7 et 10 heures. Le 6 janvier l'entreprise croit avoir réglé la question de la diffusion: «la Petite poste est maintenant chargée de la distribution de cette Feuille; et les paquets sont portés exactement tous les jours, à sept heures du matin, au Bureau Général, qui s'est chargé de les faire remettre à leur adresse dans l'espace de trois heures». Mais dès le 12 janvier, celle-ci refuse de continuer le service. Les jurés-crieurs s'en chargent. Le 6 mars, le journal annonce que la formule est au point et que «s'il arrivait encore quelque négligence, il faut s'adresser au bureau de la compagnie des jurés-crieurs, rue Neuve S. Méderic».

Le Journal de Paris devint une très bonne affaire de librairie. Quelques trop bonnes opérations les exposèrent aux critiques du public; ainsi lorsqu'en 1782, ils réunirent à leur privilège celui du Journal des deuils de la Cour et celui du Nécrologe des hommes célèbres, ils augmentèrent l'abonnement de 6 £ sans augmenter le nombre de pages du journal.

Malgré l'énormité du travail pour l'époque, on doit saluer sa qualité: pleins de zèle pour leur nouvelle clientèle, les propriétaires du journal annoncent qu'ils vont prendre du papier de bonne qualité; qu'ils offriront tous les ans une gravure. Sur ces deux points, les promesses ne seront pas totalement tenues. Mais pour le reste, le journal se distingue des autres; très peu de coquilles, maquette excellente, de conception moderne, chaque rubrique étant bien détachée l'une de l'autre, introduite par un titre normalisé en gros caractères, séparée parfois par un trait, donnant à la page l'aspect d'un tableau. C'est un journal fait pour être lu d'un seul coup d'œil, un journal pour gens pressés, en cela, le premier à annoncer les temps nouveaux.

Un mois après l'obtention de leur privilège, les quatre fondateurs avaient lancé, en octobre 1776, un prospectus in-8°, imprimé chez Quillau, rue du Fouare, annonçant pour le 1er janvier 1777, la parution du premier quotidien français, le Journal de Paris. Les premières lignes résument leur programme:

«Si la scène des événemens varie chaque jour, n'est-ce point satisfaire utilement la curiosité publique que de la reproduire chaque jour à ses yeux? Tel est l'objet du Journal de Paris. Il sera donc une correspondance familière et journalière entre les Citoyens d'une même ville. C'est sous ce double aspect qu'il faut l'envisager pour se faire une idée de son agrément et de son utilité.»

La variété des sujets qui seront abordés permettra à chacun de trouver ce qu'il cherche; on parlera fêtes, spectacles, modes, cérémonies, arrivée des Grands. On s'intéressera au bulletin de santé des célébrités. On annoncera les nouvelles administratives, telles que les Edits, audiences, mutations, scellés. Le J.P. sera en effet constitué, parfois pour moitié, de ces informations pratiques. Les nouvelles doivent circuler plus vite, auprès d'un plus grand nombre. Le J.P. sera un support de relations adapté aux dimensions des masses urbaines. Il prêtera sa voix aux particuliers. Celui qui a besoin de se faire entendre, c'est avant tout le négociant:

«Le Journal de Paris sera susceptible de devenir dans un très grand nombre d'occasions de l'utilité la plus frappante. Un Négociant dont on aurait faussement annoncé la faillite, peut le lendemain rétablir sa réputation; toutes les fausses nouvelles qui intéressent l'honneur des citoyens pourront désormais être détruites en douze heures.»

Le peuple de Paris, soumis aux tracas de la rue, peut recourir au J.P. :

«Il se répand de la fausse monnaie, un Enfant s'est perdu, un Noyé qu'on a secouru n'a laissé sur lui aucun renseignement: ces objets portés au Bureau du Journal de Paris avant 9 heures du soir, seront publiés le lendemain dans la matinée.»

Le prospectus ne prévoit pas de rubrique comparable à nos «faits divers». Les vols et les assassinats seront en général passés sous silence. Les seules colères entendues sont celles des piétons. On sait que les accidents de circulation, provoqués souvent par les calèches des aristocrates, entretenaient la colère du peuple contre les privilégiés. A propos du récit de l'un d'entre eux, L. S. Mercier note: «puisque le gouvernement a permis la publication d'une annonce aussi extraordinaire, c'est qu'il veut mettre un frein à l'insensibilité» (Tableau de Paris, t. VIII, p. 54).

Le prospectus n'envisage que «le récit des actions vertueuses dans tous les genres, lorsque les circonstances le permettront». A la rubrique «Evénement», rapidement doublée d'une rubrique «Bienfaisance», seuls sont retenus les événements positifs , comme les sauvetages de noyés, d'asphyxiés et surtout les secours aux incendiés, qui prouveront le courage et la moralité du peuple, l'héroïsme d'un ouvrier, d'une jeune fille ou d'un enfant, la prévoyance de la police et la bienfaisance des particuliers. Le J.P. réussit tellement bien dans ce domaine que L. S. Mercier pouvait dire (T.P., t. IV, p. 79): «Le Journal de Paris est devenu le héraut des calamités particulières et le véhicule des prompts secours donnés aux infortunés».

Ce désir d'être utile procède d'une confiance générale et optimiste dans l'appui de ceux qui font tourner les rouages de la société: l'administration, preuve en est le lancement même du journal, autorisé et même encouragé; le clergé, qui détient les registres d'Etat-civil; les directions des hôpitaux, les magistrats, pour la publication des procès. Un passage du prospectus est très évocateur:

«Dans la Feuille du lundi, le Relevé jour par jour des Naissances, des Mariages et des Morts de la semaine qui aura précédé, ainsi que celui des Malades entretenus dans les divers Hôpitaux de cette Ville; Tableau douloureux, bien propre à exciter la sensibilité. Il est des momens, et de tels momens appartiennent parfois aux Hommes les plus livrés aux plaisirs, où l'aspect du malheur suffit pour les déterminer à des actes de bienfaisance et rendre à l'humanité les droits qu'elle semblait avoir perdus».

C'est un souci d'utilité à la fois publique et privée. Compatir aux malheurs de son semblable c'est aussi participer à la gestion de la société, organiser la vie publique, au niveau d'une communauté urbaine aussi bien qu'au niveau de l'Etat. On peut dire que le J.P. est l'organe de cette bourgeoisie parisienne pour qui la gestion des affaires municipales, léguée par la tradition, n'est qu'un tremplin à son désir de gérer la société tout entière.

La vie quotidienne sera évoquée jusque dans le communiqué du prix des comestibles:

«La valeur des Comestibles et fourrages, dont le prix varie chaque jour de marché, de même que celui de certaines denrées dans leur nouveauté; cette partie du Journal, en intimidant le Domestique infidèle, dégagera de soupçons le Maître qui ne peut se livrer à ces détails économiques.»

En 1777, le J.P. annonçait les prix de toutes sortes de denrées: poisson, légumes, beurre, œufs. Quelquefois le prix des céréales ou des matières premières industrielles. Par la suite, seuls subsistèrent le beurre et les œufs. Mais la rubrique la plus constante était celle du fourrage. C'est celle qui donnera lieu aux plaisanteries. Pourtant selon L. S. Mercier: «Si l'on supprimait dans le Journal de Paris l'article “Fourrage”, il perdrait le quart de ses souscripteurs... l'article foin est le plus intéressant pour les gens à équipage, il appartient à leur consommation journalière» (T.P., t. X, p. 43).

Très rares sont les indications permettant de mesurer la hausse des prix; le 21 septembre 1780, un lecteur envoie un tableau des dépenses d'un ménage bourgeois de Paris vers 1730 estimant qu'«il faudrait faire tous les 25 ans un recensement des prix»; en 1785, à l'occasion de la publication des Lettres de Mme de Maintenon, un seul article, pour affirmer que, «contrairement aux apparences, la vie n'est pas plus chère de nos jours» (15 mars 1785). Le J.P. intervient parce que «la Lettre économique de Mme de Maintenon à sa belle-sœur est devenue la matière des conversations» (16 mars 1785). Ce qui intéressait le peuple, le prix du pain, n'apparaît jamais. Ce qui permet à la C. S. (22 avril 1782, t. XII) de rapporter ces vers:

«Un honnête Bourgeois grondait très vivement Monsieur son fils unique:

[...] Tu n'as rien, ne sais rien, cela me désespère.

Ce pain qui te nourrit, que vaut-il? le sais-tu?

Non répondit le fils; aussi dans leur ouvrage

Pourquoi les Rédacteurs du Journal de Paris

Du pain que vous gagnez nous taisent-ils le prix,

Eux qui savent si bien ce que vaut le fourrage?».

Le prospectus prévoit une rubrique financière. Cette rubrique sera la plus constante, sous l'ancien régime comme sous la Révolution. Elle occupe généralement la dernière colonne du journal et dresse le tableau des rentes de l'Hôtel de Ville, des cours du change, etc. Les rendez-vous des assemblées des Actionnaires sont annoncés, ceux de la Caisse d'escompte, de la Compagnie des Eaux; le compte rendu des séances occupe parfois l'essentiel d'un numéro. C'est le J.P. qui annonce les résultats des tirages de la Loterie royale. Les suppléments, gratuits ou payants, annoncent les nouveaux «Etablissements», de l'industrie ou du commerce, publics ou privés.

Que ce soit pour la mode ou pour les arts, deux rubriques qui semblent avoir une grande importance, les rédacteurs se justifient par de hautes considérations civiques; pour les arts, il s'agit de ne pas permettre aux étrangers de piller la France et de permettre aux Français de soutenir leur réputation:

«Les Arts prendront dans ce Journal date de leur découverte; il mettra le connaisseur à portée d'admirer une production qui, faute d'être annoncée, demeure souvent ensevelie dans un oubli total. Combien de chefs-d'œuvre de l'Art, qui destinés à l'Etranger, y passent sans que nous en ayons eu la plus légère connaissance; de sorte qu'un Français voyageant à Stockholm ou à Pétersbourg est tout étonné d'y trouver un tableau, une Statue etc. qu'il eût pu considérer à son aise dans sa Patrie. Nous invitons MM les Elèves des Artistes, en tous genres, à nous faire part des Ouvrages qui peuvent intéresser la gloire de leurs Maîtres.»

En attendant, l'expression politique est réduite à louer la monarchie, et encore, de bien curieuse façon:

«En nous assujettissant à donner le cours des Modes, nous ne prétendons point par là mériter de la Patrie; un tel détail cependant ne se borne point à l'utilité du moment puisqu'il est des occasions où l'Histoire elle-même peut en tirer avantage. Louis XVI monte sur le Trône; c'est Henri IV que l'on croit voir renaître; l'imagination s'exalte; et pour mieux se représenter le règne à jamais mémorable, on court aux bals avec la fraise, les manches bouffantes, le chapeau couvert de plumes, les souliers noués; le vulgaire ne voit dans cet ajustement qu'un effet du caprice et de la frivolité; le Philosophe au contraire y voit un objet frappant de comparaison, entre l'amour des Français pour l'Ayeul et le Petit-fils.»

Le prospectus annonce donc un journal qui ne sera pas frivole tout en parlant de frivolités; qui plaira aux mondains et aux oisifs aussi bien qu'aux bourgeois laborieux; qui sera non pas savant, le prospectus est très modeste en la matière, mais éclairé sans être austère; bienfaisant sans être sentencieux; mais cette bienfaisance est laïque, la croyance au bien-être social par le savoir et le travail, militante.

Notons enfin que l'annonce des livres semble être la rubrique la plus attendue, la plus banale aussi, car c'est par là que commence le prospectus. Mais les ambitions des auteurs semblent se cantonner modestement au rôle d'annonceurs de nouveautés, dans les lettres comme dans les sciences, sauf la météorologie «dont on a trop tard senti l'utilité». Les propriétaires du journal ne prétendent pas rivaliser avec leurs confrères littéraires. Ainsi en témoigne un abonné de province, le 21 janvier 1786:

«Le Journal de Paris est devenu aussi le Journal de la Province et j'en fais ma lecture favorite. Ce n'est pas que le Mercure n'ait pas son mérite pour beaucoup d'autres; mais pour moi, qui ne remplis jamais de bouts rimes que d'une manière ridicule; qui n'entends rien à décider une question d'amour, quoique j'aye perdu en ma vie deux ou trois procès à ce tribunal, moi qui n'ai jamais pu disséquer un logogryphe faute de savoir l'Astronomie, la Géographie, la Navigation, l'Histoire Naturelle, l'Ecriture sainte, la Musique, la jurisprudence et le surnom des Dieux en latin; il est naturel que le Mercure, qui est dans la société la pierre de touche de la sagacité de chaque bel-esprit, ne soit pour moi qu'une pierre d'achoppement.»

Le témoignage est un peu suspect, parce qu'à l'époque le J.P. s'apprête à une féroce concurrence avec le Mercure pour la publicité commerciale. Le J.P. ne brigue qu'une place modeste dans le monde littéraire, mais c'est plus que ce que promet le prospectus.

Lorsqu'en 1782, le J.P. réunit à son privilège celui du Journal des deuils de la Cour et du Nécrologe des hommes célèbres, il prétend, pour justifier l'augmentation du prix de l'abonnement qui s'ensuivit, que «presque tous nos Abonnés avaient également souscrit aux annonces de Deuil». Ce qui indique qu'il n'y avait pas beaucoup de lecteurs des classes populaires, de celles qui, ni par leur rang, ni par leurs intérêts d'affaires, n'avaient de relation avec la Cour. Cependant, la prétention du J.P. est aussi de parler pour le peuple; la rubrique «Nécrologie» est présentée ainsi:

«Ainsi, de même que le Militaire fameux, que le grand Magistrat, que le Savant ou l'Artiste célèbre, l'Artisan sera distingué dans sa profession, les Laboureurs dont les tentatives et les essais auront été couronnés d'heureux succès, auront des droits à nos éloges.»

Déjà, la rubrique «Enterremens» est révélatrice. Contrairement au Mercure de France qui n'annonce que la mort des grands du royaume, le J.P. annonce aussi la disparition de bourgeois, de marchands, de maîtres artisans. L'échantillon social qui compose la rubrique «Scellés» est le même. C'est parce qu'ils laissent des biens que ces roturiers et ces nobles sont réunis dans la même rubrique mortuaire. C'est pour leur argent qu'ils sont mis sur un pied d'égalité.

Le faible niveau d'instruction et le caractère unique de sa formule amènent le J.P. à recruter ses lecteurs dans les deux classes urbaines aisées. Mais l'esprit du journal traduit une aspiration à l'égalité de la part du tiers, ainsi que l'exprime plaisamment, le 25 novembre 1781, le chansonnier attitré du J.P, de Piis: «A ce Journal je m'intéresse, Disait une vieille Comtesse; Mais c'est un abus sans pareil, Et dont chaque matin j'endéve, D'y marquer l'heure où le Soleil Pour ces petits Bourgeois se lève.» Il faut noter la spécificité du Journal de Paris pendant ses trois premières semaines d'existence, c'est-à-dire avant sa première interdiction et le renvoi de son premier directeur, Pierre-Antoine de La Place. L'évolution que le journal subira, en dix ans d'existence, entre l'année 1778 et l'année 1788, est sûrement moins considérable que celle qui marqua le journal tel qu'il avait été conçu, tel qu'il vit le jour et se développa jusqu'en août 1777 et tel qu'il prit figure dès 1778.

Les difficultés ne se firent pas attendre; dès le 6 janvier, le journal est obligé d'annoncer que certaines rubriques ne pourront être remplies; la coopération du clergé, qui ne semblait pas douteuse, fait défaut. A y regarder de plus près, les intentions des rédacteurs avaient de quoi surprendre et inquiéter:

«Observation: On s'était proposé de donner dans la Feuille du Lundi de chaque semaine le total des Naissances, des Mariages et des Morts de la semaine précédente. La plupart de MM. les Curés de Paris avaient bien voulu entrer dans nos vues; mais l'opposition d'un très petit nombre d'entre eux prive le Public des avantages qui devaient résulter de ce Tableau.

Nous avions cru qu'il procurerait au Gouverneur, sur la vie commune des hommes, un calcul dont il a senti la privation lors de l'établissement des Tontines, des Rentes viagères, et des divers projets de Finance, fondés sur les époques de la vie humaine; nous pensions que ce relevé servirait à rassurer le Peuple, qui, toujours disposé à grossir les maux, suppose la mortalité plus considérable qu'elle ne l'est effectivement, lorsqu'il règne des maladies épidémiques; enfin nous nous flattions de l'espoir de fournir à l'Académie des Sciences la possibilité d'établir un calcul sur la probabilité de la vie de l'homme, en France.

Le refus inattendu que nous avons éprouvé nous empêche de remplir nos promesses à cet égard et doit nous servir d'excuse auprès de nos souscripteurs» (J.P., 6 janv. 1777).

Les auteurs avaient sans doute tout à fait conscience de la révolution qu'imposait ce goût pour la transparence des affaires publiques. En 1781 encore, à propos de la parution du Compte rendu de Necker, qui mettait au jour pour la première fois en France les comptes de l'Etat, ils diront: «l'émotion que doit susciter une conduite aussi franche et louable, sous un Gouvernement qui, d'après les principes de sa politique, paraissait ne devoir jamais l'accepter».

Par la suite, les rédacteurs se contenteront de donner une fois par an un tableau de la démographie parisienne.

En 1777, le journal se caractérise par une liberté de ton plus proche des nouvelles «à la main» que des journaux autorisés. Le 19 janvier, par exemple, le 1er article était consacré aux Incas de Marmontel et il était précisé que ce conte «était attendu depuis longtemps»; à la rubrique «Tribunal», on s'étendait sur l'histoire d'une femme adultère, mise de force dans un couvent et mettant en cause le lieutenant général de police d'Angers; une autre affaire mentionnait un imprimé de Beaumarchais qui avait été censuré, etc. Cela faisait beaucoup d'affaires chaudes pour un seul numéro; et il en avait été de même les autres jours; les suicides (nombreux!), les adultères, les enfermements abusifs dans un couvent pour s'emparer d'un héritage et les tribunaux qui confirment l'enfermement, les «filoux plaisants», le voleur malin qui échappe à la police grâce à l'aide de la populace (cette information était donnée en guise d'explication du suicide du voleur lors de sa seconde arrestation), les escrocs qui réussissent, les avocats qui se disputent, les atteintes à la vie privée (le journal dut s'excuser le 21 janvier d'avoir révélé avec indiscrétion la pauvreté du célèbre médecin Bordeu et les opérations de son financier), les maladies qui sévissent à Paris, l'enfant affamé qui crie à sa mère; «Maman, je vais donc manger ma chaise!»... Tout cela ne faisait pas du Journal de Paris un journal de bon ton.

Une telle formule provoqua immédiatement curiosité, scandale et opposition. Elle subit son premier échec au bout de six jours et sombra au bout de trois semaines. Le 23 janvier, le journal était suspendu. Il semble donc que Bachaumont ne se trompe pas lorsqu'il fait état de «la multitude de gens qui s'y opposent». C'est tout à la fois le contenu, le style, l'esprit du J.P. que cette première suspension sanctionnait:

«Le Journal de Paris est arrêté dès Jeudi 23 et n'a point paru ce jour-là. On a pris le prétexte d'une épigramme point neuve et assez obscène pour le suspendre; ce qui cause un grand mouvement dans la capitale. Quelque peu intéressant que fût ce papier public, il y avait déjà beaucoup de souscripteurs; les gens les plus distingués de la Cour voulaient l'avoir; la Reine, la famille royale, les Princes le lisaient, même Mme Elisabeth. Malgré cette curiosité générale, il n'y a point d'apparence qu'il puisse reprendre, à raison de la multitude de gens qui s'y opposent. D'un autre côté, M. l'Avocat Séguier ne veut pas qu'on y parle de lui et conséquemment des affaires du Palais. Le clergé s'écrie contre une histoire d'Abbé qu'on y a insérée. Un officier aux Gardes, M. de la Roine, a jeté feu et flamme pour son anecdote qu'on y a rapportée. Enfin c'est une rumeur considérable» (M.S., 25 janv. 1777).

Certes, contrairement à ce que promettait le prospectus: «Ces légères productions de l'esprit, ces Madrigaux, toutes ces Pièces de Poésie, fruit du bon bon goût et de la gaieté décente; ces Bons Mots, ces Anecdotes, à qui la nouveauté semble ajouter du prix», les anecdotes et «bons mots» avaient été nombreux et aucun ne brillait par son bon goût ou sa décence; mais l'article réprouvé le 19 janvier, était un épigramme se moquant de la rapacité des moines-quêteurs:

«Un gros Frocard, Quêteur en son Couvent,

A contribution voulait mettre Isabelle.

En Sénèque nouveau prêchoit contre l'argent:

Sachez, lui disait-il, jusques où fut mon zèle:

Comme vous, autrefois, d'un grand bien j'ai joui;

Dieu parlait à mon cœur, j'y renonçais pour lui.

Vous auriez mieux fait, lui dit-elle,

De renoncer au bien d'autrui.»

Le lendemain, le nom de La Place n'était plus mentionné dans l'adresse du journal et la rubrique «Administration» donnait un arrêt du Conseil du roi, datant du mois de décembre, réaffirmant l'obligation d'obtenir une permission pour tout imprimé. Les rappels de ce genre étaient systématiques lorsqu'un journal devait faire amende honorable. Mais on se demande si c'était vraiment le clergé qui avait le plus protesté ou alors les rédacteurs furent bien imprudents car, dès le 22, ils firent paraître un conte en vers «Le Bonze et son Pénitent». Il ne s'agissait plus d'un membre du clergé catholique, mais la chasteté d'un religieux était tournée en dérision; pour le coup, ce fut la suspension.

Le journal reparut dès le 29 janvier. Apparemment, c'était aussi bien le pouvoir, malgré toutes ses craintes, que l'opinion publique, qui ressentait la nécessité d'un quotidien. Mais la rubrique «Palais-Tribunal» était supprimée. Le nouveau quotidien présentait cet inconvénient d'exposer à un large public des affaires dont le jugement n'était pas encore rendu, auxquelles étaient parfois mêlées des personnes de haute condition, sur des sujets parfois scabreux. La façon dont les avocats menaient leur plaidoyer faisait l'objet d'un «reportage» avant la lettre. Cela ne plaisait ni aux magistrats, ni aux témoins, ni au pouvoir. La C.S. note pour sa part; «les particuliers ont craint que leur conduite fût éclaircie et nous sommes dans un temps où le grand jour n'est pas favorable aux mœurs. Si la mode de la censure revenait, comme on l'a vu chez les Romains, la plupart de nos sociétés trembleraient d'épouvante».

Les propriétaires, et en particulier Corancez, tenaient particulièrement à cette chronique. En juillet 1777 encore, ils envoyaient un mémoire au directeur de la Librairie, Camus de Neufville pour en obtenir à nouveau l'autorisation. Celui-ci leur répondit le 30 août suivant:

«J'en ai conféré avec M. le P. général et il nous a paru qu'il était plus prudent de ne laisser insérer dans ce Journal aucune espèce d'annonce qui puisse concerner les affaires qui se traitent au Palais» (B.N., ms. Joly de Fleury 1682, f° 148).

A côté des lettres aux «Auteurs du Journal», la rubrique «Arts» est l'une des plus fournies. Elle désigne indistinctement les arts libéraux et mécaniques. La longue et violente polémique des gluckistes contre les piccinistes, qui remplit les colonnes du J.P. de 1777 à 1779, lança le journal dans le monde des salons. Sous divers pseudonymes, «l'Anonyme de Vaugirard, M. Aeiou», Suard, Arnaud et certainement Corancez au nom des rédacteurs, défendirent Gluck. «Les talents distingués qui donnent de l'éclat à la capitale et y attirent les Etrangers, sont une véritable richesse...», annoncent les rédacteurs, le 15 juillet 1777, à l'occasion de l'arrivée de Gluck à Paris. En 1781 encore la polémique continue avec «Mélophile», c'est-à-dire Ginguené. Les auteurs du J.P. osent protester de leur «modération qui convient à notre caractère» (19 au 23 mars). Il est vrai que, de temps à autre, le journal insère des airs notés de Piccini et pas seulement de Gluck. Dès ses débuts, on voit le J.P. exceller à mener des campagnes de presse.

Les beaux-arts suscitèrent aussi des passions, surtout les trois premières années. Le secrétaire perpétuel de l'Académie de peinture, Renou, est le chroniqueur attitré du J.P., notamment pour les nécrologies d'artistes et les comptes rendus des salons d'automne (voir surtout les comptes rendus du salon de 1779, auxquels collaborèrent les artistes les plus célèbres et ceux de 1781, 1785, 1787). De mars à juin 1777, sous le pseudonyme du «marin» ou de «Kergolé», Renou défendit son point de vue. L'expression est vigoureuse, les rapports entre l'art et l'argent sont abordés. Quelques lecteurs en sont choqués. Renou fait de la propagande pour le développement de l'art de la Mosaïque; une discussion s'engage en faveur de la récente liberté des artistes (arrêt paru dans le n° 1 du J.P.). «Pro Patria» milite pour l'embellissement de Paris. Conformément aux intentions du prospectus, le J.P. conçoit le développement de tous les arts comme un atout pour la prospérité du pays.

En juin, le journal cherche sa voie et les lecteurs l'y aident. On en discute et on choisit d'en faire un journal qui soit un «Spectateur», comme celui d'Addison, une voix de la conscience (23 juin 1777). Le tout est de savoir à quel niveau de conscience on va se placer. Les 9 et 22 juin paraissent deux lettres qui vont faire un peu de bruit. Elles sont signées «L'Hermite de la Forêt de Sennar». L'orientation du journal est très critiquée:

«La musique y tient seule plus de place que toutes les sciences ensemble [...] Lisez le programme de la société de Harlem [...] Ce sont des objets de ce genre qui devraient vous occuper. M. Propatria nous annonce qu'il se propose de dire des vérités utiles sans blesser personne, mais qu'il commencera par nous parler des «embellissements de Paris». Cela ressemble un peu trop à l'éducation du Marquis de la Jeannotière, où après avoir examiné le fort et le faible de toutes les sciences, on décide que M. le Marquis apprendra à danser [...]. Songez donc, Messieurs, qu'il n'y a plus que vingt trois ans d'ici à la fin du dix-huitième siècle et que si avant ce tems l'esclavage des nègres n'est pas aboli, la postérité n'appellera point notre siècle, le siècle de la raison et de l'humanité...»

Tout le monde a reconnu Condorcet. Les réponses des correspondants du J.P. constituèrent une fin de non-recevoir à ces préoccupations d'intellectuel. Leur démarche était plutôt de considérer qu'ils défendaient les classes pauvres en commençant par défendre leur propre confort, par exemple en militant pour l'assainissement de la capitale. Au même moment, le 20 juin, Condorcet écrivait à Voltaire qui avait été fâché que le J.P. se fût montré trop partisan de Montesquieu; «La Feuille du jour est une bagatelle fort peu importante, mais qui peut devenir utile, et qu'il ne faut pas décourager» (Best. D20 703).

En effet le J.P. se pose en réformateur. Ce sont les questions médicales qui l'occupent surtout. Ainsi, le 4 août, le journal fait paraître une lettre d'un lecteur sûrement fictif, un certain Nieman, «négociant hollandais», qui s'insurge contre la communauté des Tailleurs en corps de femmes et d'enfants; «Je ne conçois pas que des gens honnêtes puissent être assez aveugles pour exercer, sans scrupule, une profession aussi meurtrière». Un tailleur porte plainte. Par la suite le J.P. ouvrira ses colonnes aux sociétés philanthropiques, avec Blin de Sainmore comme correspondant, aux mémoires visant à réduire la mendicité, et plus généralement à tous les sujets sociaux, politiques, économiques, scientifiques proposés aux concours académiques, à toutes les entreprises du lieutenant de police tendant à sauver des vies humaines par l'assainissement urbain, la médecine, la réforme des hôpitaux et des prisons. Il permettra la publicité aux «établissements» fournissant du travail aux pauvres, aux brochures de la «Société des Amis des Noirs» de Brissot et Condorcet.

C'est à partir d'août 1777, lorsqu'ils surent que la suppression de la chronique parlementaire était définitive, que les propriétaires changèrent le style de leur journal. Les rubriques «Police» (informations municipales) et «Evénement» se firent plus discrètes. On se restreignit aux seules «vérités utiles», sans dépasser les intentions du prospectus. De ce qui pouvait faire scandale, il n'en fut plus question. Les journalistes rentrèrent dans le rang, et il semble que cela suffît à leurs abonnés. Bachaumont, très critique contre le nouveau quotidien, n'est gagné à sa cause que le 11 juin 1777, quand paraît un supplément à propos d'un accident survenu au roi lors d'une partie de chasse; «On a vu à l'occasion de cet événement l'utilité du Journal de Paris qui, dès le mardi après-midi a fixé les rumeurs publiques et dissipé toutes les craintes par un supplément rendu en grande diligence.»

Ce n'était plus tout à fait l'objet d'une «correspondance familière et journalière entre les citoyens d'une même ville». Progressivement le journal se mit à ressembler à ses confrères, il prit l'allure d'un journal littéraire. Mais si effectivement les rédacteurs améliorèrent le style, raffinèrent l'esprit du journal et se piquèrent d'en faire «un journal de la mode et du bon ton», ils lui conservèrent son originalité, tirée de ses origines.

Nous avons vu que les rédacteurs du J.P. ont exercé leur pouvoir médiatique tout d'abord pour «servir le progrès des Lumières». Plus généralement le journal nous donne une image de l'actualité commerciale, industrielle, scientifique de cette fin de l'ancien régime. Mais les publicités pour les nouveaux «Etablissements», pour les manufactures, ne concernent jamais les industries de luxe; ce sont aussi des entreprises exploitant toutes un procédé nouveau dans la chimie, les mines, le textile (voir par exemple la publicité pour la manufacture de Sparterie, du 24 octobre 1780 avec un beau tableau des prix et des articles). Beaucoup ont un lien avec Cadet de Vaux. Pour mener à bien son œuvre d'assainissement urbain, Cadet de Vaux acheta en effet un terrain à Javelle; différentes entreprises s'y installèrent; fosses vétérinaires, «ventillateur» (pour les vidangeurs des fosses d'aisance), entreprise de production d'huile vitriolique et de gaz pour les ballons aérostatiques, blanchisserie en 1788. Les boues de Paris servent aux engrais dans les «châssis physiques du Sieur Mallet» (15 nov. 1779). Cette invention occupe toutes les rubriques «Agriculture» de l'année 1780. En 1779, des entrepreneurs de fourrages (foin d'avoine) bénéficient de suppléments publicitaires. Cadet de Vaux a un langage d'autorité. Il n'hésite pas à s'en prendre aux laboureurs qui ne savent pas se prémunir contre la carie du blé. Le journal a pour conseiller agricole en 1784 (1er avril), un agriculteur d'Argenteuil, membre des Comices agricoles dont s'occupe Cadet de Vaux (voir D.P. 2).Le J.P. diffuse les travaux de Cadet de Vaux et de Parmentier à l'Ecole de boulangerie, reçoit la correspondance de l'Ecole vétérinaire d'Alfort, grâce aux médecins Gilbert, Chabert et Huzart. Il diffuse aussi les travaux et les avis de toutes les Académies, particulièrement de l'Académie des sciences, comme l'illustre la querelle entre Cadet de Vaux et Le Sage à propos de l'inoculation dont le J.P. est partisan. Encore une fois, c'est l'occasion pour les «spécialistes» de critiquer la formule du J.P.:

un des Rédacteurs du Journal de Paris, celui qui juge en dernier ressort de toutes les matières de sciences, n'est pas de cet avis... Croit-il qu'il soit permis de jouer, de tromper le public dans une affaire qui intéresse l'humanité entière? Il l'est encore moins à un coopérateur d'un journal de s'immiscer dans les choses qu'il n'entend pas; de s'ériger en juge suprême dans ce qui ne le concerne pas. Qu'il fasse ressortir à son tribunal en même temps la danse, la musique, la peinture, la pharmacie, la chymie, la médecine, l'inoculation, les pièces de théâtre, les talens des Auteurs, des Acteurs, des Actrices, la boulangerie, l'Astronomie etc. etc.» (Gazette de santé, 17 sept. 1780).

R. Darnton s'est beaucoup référé au J.P. pour décrire les modes scientifiques de la fin des Lumières. L'affaire du sourcier Bleton, propagée par le physicien Thouvenel jusqu'en 1786 (4 juil.) et pour lequel le journal prend parti avec acharnement (janv., févr. 1779 et surtout mars à juin 1782), les expériences aérostatiques des frères Robert et des frères Mongolfier mais surtout de Blanchard, à partir de 1783, les sirènes du mesmérisme (de 1783 à janv. 1785), la Physique du monde du baron de Marivetz, sont des facteurs momentanés de discorde entre le journal et son oracle habituel, le physicien Lalande. Le J.P. reste prudent sur le mesmérisme, et s'impose un silence absolu à partir de sa condamnation et de la publication du rapport des commissaires, publié en 10 p. le 17 janvier 1785. Le journal soutient Faujas de Saint Fond contre Chaptal (avril 1784). Les articles de médecine sont souvent rédigés par le médecin Pinel (voir l'article du 18 janv. 1790 sur l'influence de la Révolution sur la santé mentale de la population). La rubrique «Histoire naturelle» véhicule les plus grosses absurdités.

Ce n'est pas seulement dans les arts et dans les sciences que le J.P. abandonne le rôle modeste qu'il s'était assigné à son début. En 1782, à propos d'une campagne critique contre l'ouvrage de Mme de Genlis, les rédacteurs expliquent comment il faut considérer les articles non signés:

«... nous nous regardons tous comme responsables des articles du Journal de Paris dans lesquels nous parlons en notre nom. Il nous arrive bien rarement d'employer une plume étrangère pour ce genre de travail, et jamais dans les occasions importantes. Les articles sont toujours communiqués avant d'être rendus publics, et cette formalité que nous nous sommes prescrite n'a jamais été pénible à aucun de nous, parce qu'aucun ne tient plus à son opinion qu'au bien et à la vérité» (30 mars 1782).

Dans le domaine littéraire, le grand ennemi du J.P. est La Harpe. La dispute a commencé dès 1777 avec la querelle musicale, mais la polémique était anonyme. En 1778, François de Neufchâteau (févr.), L. S. Mercier (9 juin), Corancez (30 oct.), Sautereau et même Condorcet, sous la signature du Marquis de Villev... (juil.), attaquent La Harpe, le Mercure et le Journal de politique et de littérature , notamment pour défendre Voltaire, J.J. Rousseau, et une certaine conception de l'art. Sixte Sautereau de Marsy a la plume incisive et judicieuse. La nécessaire concurrence, en ce domaine, avec le Mercurele ressentiment personnel du rédacteur contre La Harpe, qui, en 1766, lui avait ravi le premier prix au concours de l'Académie, se conjuguent pour faire du J.P. une machine à démolir l'académicien. La Harpe riposte en attaquant à la fois Sautereau et d'Ussieux C.S. (t. VII, p. 11).

En 1780, d'Ussieux clôt, provisoirement, la discorde en signant, fait exceptionnel, les 15 avril et 19 mai, deux articles élogieux sur son confrère. Le style de l'«extrait» du 9 avril 1781 (Philolecte) semble être celui de d'Ussieux. C'est un article plein de bonnes intentions pour une pièce critiquable. Doit-on prêter foi à la C.S. qui prétend, le 15 avril (t. XI, p. 179) que La Harpe et d'Alembert auraient gagné «l'un des principaux auteurs du J.P. en lui prodiguant l'espérance d'une belle fortune littéraire»?

Désormais, la chronique de Sautereau prend de plus en plus d'importance. Il croit pouvoir se permettre quelques audaces. En 1780, la presse polémique à propos d'un ouvrage de l'abbé d'Espagnac, les Réflexions sur l'abbé Suger que la Correspondance littéraire qualifie de «violente diatribe», et la Correspondance secrète de «satyre». D'Espagnac reprochait au conseiller de Louis le Gros et régent sous Louis VII, ses intrigues et ses abus de pouvoir (C.L., mai 1780 et C.S.17 mars 1780). Le 6 février, le Journal de Paris entre dans la bataille en publiant une critique favorable à l'auteur, quoique nuancée; c'est du «bon travail» mais «peut-être les éloges ont été trop outrés et cette critique trop sévère». Mais les deux jours suivants, Sautereau signe, c'est-à-dire endosse seul la responsabilité de deux longs articles intitulés «observations» dans lesquels il revient sur ses propos et opère un revirement complet; cette fois-ci, Suger doit être loué car il a permis de réduire «la puissance du Clergé et des vassaux couronnés». Un abonné soutient le point de vue de Sautereau, dans un supplément de 4 p., et un autre conclut: «on distribue des prix pour les éloges, c'est-à-dire qu'on paye pour mentir». Selon la C.S., «des ordres supérieurs ont tout à coup absorbé cette discussion littéraire en défendant aux auteurs du J.P. de parler à l'avenir de Suger». Il ne reste aucune trace de cet épisode dans l'Abrégé du J.P.

Un an plus tard, Sautereau réitère, s'attaquant cette fois-ci à l'oraison funèbre de Marie-Thérèse d'Autriche prononcée au Louvre le 1er juin par l'abbé de Boismont, prédicateur ordinaire du roi, de l'Académie française. Sautereau est arrêté le 19 juin, sur plainte de l'Académie; le journal ne subit pas d'interruption, la suspension n'ayant duré que 24 heures. Les M.S. dont la version des faits semble plus crédible que celle de la C.S., ajoutent: «Il n'y a pas eu moyen de soutenir une suspension qui serait devenue tyrannique et aurait fait crier tous les souscripteurs. Il parait qu'on n'a même exigé du journaliste aucune rétractation, excuse, ni modification.» (M.S., 20 juin 1781).

Ce fut encore une «personnalité», c'est-à-dire une diffamation, qui fut le prétexte de la deuxième suspension du J.P., du 4 au 27 juin 1785. Tous les chroniqueurs ont relevé que le pouvoir avait été bien dur envers le Journal de Paris de l'avoir sanctionné pour une «bluette que tout le monde connaissait», celle du chevalier de Boufflers racontant une entrevue désastreuse avec la princesse Christine de Saxe. L'injustice reconnue n'empêcha pas les chansonniers de brocarder l'éditeur Corancez:

«Enivré du brillant poste

Qui me rendait important

Je menais d'un train de poste

Le Public et son argent.

Au fait de mon ambassade,

Du reste n'entendant rien,

Je pouvais être malade

Quand Sautereau se portait bien.

[...] De 8 000 écus de rente

Perdant jusqu'au dernier quart,

D'une plume pénitente

J'écris à M. Suard:

Je conviens que d'une tante

Le prix par moi méconnu

Méritait que de ma rente

On m'ôtât le revenu.

Touché de ma repentance

Epris d'argent et d'amour,

Mon patron rompt une lance

Dans le cercle de la Cour:

On me rendit mon pupitre;

Et le bon monsieur Suard

Chez moi ne voulut qu'un titre

Avec sa prébende à part.»

Cette suspension était d'abord le signe de la remise au pas de la presse qui profitait de la crise d'autorité du régime. Le J.P. fut peut-être aussi victime des luttes d'influence qui s'exerçaient dans la sphère gouvernementale. Le J.P. bénéficiait de la collaboration de nombreuses personnalités. Selon la C.L.S.:«On sait que le Journal de Paris est une arène dans laquelle beaucoup de gens d'esprit viennent exercer leur imagination, s'essayer au sarcasme ou développer leur talent pour l'observation...» (20 juin 1789).

Nous avons vu que Renou alimentait en partie la rubrique «Arts» et «Nécrologie». En 1783, le J.P. se félicite d'avoir obtenu de Condorcet la permission de reproduire de façon abrégée ses éloges académiques (J.P., 17 mars et 24 nov.). Le poète M.J. Roucher est le seul à signer quelques «extraits»; deux ouvrages de l'astronome Bailly, le 31 déc. 1778, le 9 févr. 1779 et le 25 juin 1784, un extrait des Amours de Daphnis et Chloé. Naigeon signe la nécrologie de d'Holbach en mars 1789. Palissot entretient des polémiques à la rubrique «Spectacles» (juin 1782 et janv. 1787; autres lettres: 14 nov. et 28 décembre 1784). Bourlet de Vauxcelles, l'abbé Arnaud, Garat écrivent anonymement des articles de littérature ou de morale, de même que Suard: il signe, en 1777-1778 à propos de Gluck, «l'Anonyme de Vaugirard»; à propos de Mme de Tencin de juillet à novembre 1787, «le Solitaire des Pyrénées» et «le Solitaire des Migneaux». Le «Conte Moral» du 21 avril 1778 est de lui. Mme Suard écrit aussi: une lettre sur M. Dutreuil en avril 1785; l'extrait du Voyage sentimental de M. Sterne le 18 juin 1786; Soirées d'hiver d'une femme retirée à la campagne, 5 lettres en novembre 1786; un article nécrologique sur Jacques Godart, député, le 8 novembre 1791; le 14 thermidor an III, sur les émigrés de Quiberon; en 1800 et 1801.

En premier article le J.P. publie des «pièces fugitives» envoyées par Imbert (de Clermont-Ferrand), Sylvain Maréchal, de Piis, Le Brun, Vigée, le chevalier de Cubière, le marquis de Villette, le marquis de Fulvy, Fanny de Beauharnais et souvent Corancez lui-même, signant de diverses initiales. L'essentiel des contributions se fait sous la forme de lettres adressées «aux Auteurs du Journal». Ainsi, très régulièrement l'abbé de Saint Léger (abbé de St L**) envoie des articles d'érudition. Les lecteurs bibliophiles excellent à polémiquer sans fin sur des sujets très particuliers du genre: y a-t-il vraiment un laurier sur le tombeau de Tite-Live? (polémique lancée par Feydel en 1787-1788). On conçoit que les Mémoires du temps aient accusé les journalistes de faire du remplissage.

L'abbé Baudeau envoie un nombre considérable de lettres. C'est peut-être parce qu'il est secrétaire de la Société libre d'émulation qu'il est bien accueilli au J.P, qui ne fait par ailleurs jamais de profession de foi économiste. Il remplit la rubrique Belles-Lettres du 18 septembre au 13 novembre 1783, pour démolir l'ouvrage de Bailly, les Lettres sur l'Atlantidequi avait été encensées par Roucher le 31 décembre 1778. Toutes les autres lettres concernent l'économie politique; en décembre 1779, en 1780 contre Linguet sur la dîme, 9 articles de polémique avec Mallet Du Pan en novembre, décembre 1786, en 1788.

Le J.P. a un important public féminin. Nombreuses sont les lettres de femmes plaidant pour leurs droits. Le ton est badin mais les questions sont sérieuses. On discute du mariage et du divorce. L'égalité de la femme est affirmée sans contradiction. Certaines lettres prennent une allure de «courrier du cœur».

L'éducation tient aussi une très grande place dans le journal. La référence à J.J. Rousseau est constante. La campagne est particulièrement intense en 1782. Du 22 mars au 6 avril, le journal démolit l'ouvrage de la comtesse de Genlis Adèle et Théodore, en critiquant tous ses aspects réactionnaires. Le J.P. prône l'éducation de la sensibilité.

Parmi les réflexions morales diffusées par le J.P., les plus constantes tournent autour du thème de l'égoïsme. C'est la base de cette morale laïque que décrit D. Mornet. On récuse la charité au nom de la bienfaisance. On veut être plus que bienfaisant, on veut être fraternel vis-à-vis de ses compatriotes et humain vis-à-vis de l'étranger (voir «De la générosité», 23 févr. 1780, mars-avril 1784). Cette réflexion morale est aussi un commentaire de Montesquieu; «on est moins égoïste dans les Républiques que dans les Monarchies». En 1788, un lecteur affirme que même dans les républiques, on a le sens de l'honneur. Au même moment, avant même que l'étau de la censure ne se soit desserré sur la presse, le J.P. participe, à sa façon, à l'effervescence des idées politiques. L'économie politique prend la première place, soit dans les extraits, soit dans le courrier des lecteurs. Jusqu'en septembre, c'est à peu près exclusivement l'exemple étranger qui autorise la réflexion, ce que permettait la censure. Les rédacteurs du journal s'étendent sur La Monarchie prussienne de Mirabeau et la Vie de Frédéric II; les Recherches économiques et politiques sur les Etats-Unis de Mazzei avec les lettres de Condorcet (le J.P. s'était aussi intéressé aux Lettres d'un cultivateur américain en 1785); les lettres du pasteur Schwartz contre l'esclavage des Nègres, toujours de Condorcet. Dum** de la Pl** disserte sur la constitution anglaise à partir du General Advertiser. Les opinions du J.P. sont évidentes; pour l'Angleterre, on admire son habeas corpus et son égalité civile, mais on lui reproche sa corruption et son impérialisme colonial (le journal ne dit mot des colons français); Frédéric II est admiré parce qu'il applique les idées des économistes en développant l'agriculture et l'industrie; mais son régime ne peut qu'aboutir à une impasse parce qu'il est militariste et despotique; l'Amérique, sa constitution républicaine, son peuple, l'héroïsme de ses femmes sont encensés.

Surtout, et c'est tout autant valable pour la France, le J.P. est contre la noblesse et contre toutes les sortes de privilèges. Depuis sa fondation, c'est un leitmotiv. De tous les journaux autorisés, le J.P. est sans doute le meilleur défenseur de la dignité du Tiers Etat et l'adversaire le plus décidé de la féodalité. A partir de l'automne 1788, les articles et surtout les lettres, se font beaucoup plus libres. Par exemple Cerutti s'attaque de façon virulente aux mœurs seigneuriales.

Seulement, ces prises de position qui vont un peu plus loin que l'opinion moyenne sont tout à fait tempérées par un parti-pris monarchique sans faille à l'égard de la France. Les rédacteurs ont toujours fait paraître des articles pleins de componction pour la dynastie. Le roi doit être un père bienfaisant pour son peuple; il est le garant de sa liberté, contre la noblesse s'entend. La meilleure preuve, c'est la convocation des Assemblées provinciales puis de celle des Notables. Mais la C.L.S. trouve encore le moyen de s'indigner: «On a vu dans le Journal de Paris l'annonce de la résolution du Roi de convoquer 140 Notables du royaume [...] mais on est révolté contre le plat rédacteur qui a imprimé, sans pudeur: “La Nation verra avec transport que son Souverain daigne s'approcher d'elle”. Comme si la bonté parternelle du Monarque lui avait jamais permis de s'éloigner de ses Sujets. C'est insulter à la fois le Prince et la Nation; c'est calomnier le meilleur des Rois.» (C.L.S., 9 janv. 1787).

Deux écrits témoignent des espoirs que certains mirent dans le rôle politique que le quotidien aurait pu jouer dès 1789, et de leur déception. Dans une Lettre d'un Parisien à son ami, député du Tiers-état, datée du 24 mai 1789, un anonyme prétend que la «discrétion» de ces «bénins Rédacteurs» leur a fait faire une faute politique: «c'est au refus qu'ils ont fait d'insérer dans leur feuille la justification publique du Sieur Réveillon que sont dus l'émeute et le massacre du Faubourg S. Antoine; la canaille à présent qui s'avise de lire aurait connu le désaveu de ce brave homme». C'est aussi parce que les journalistes sont des «agioteurs» qu'ils ont refusé d'insérer son épigramme contre l'inauguration du buste du Roi dans l'enceinte de la Bourse.

Olympe de Gouges est aussi très déçue par le J.P., auquel elle est abonnée. A la suite de sa brochure Le Bonheur primitif de l'homme ou les Rêveries patriotiques, elle reproche vivement aux journalistes de ne pas avoir fait, malgré ses demandes réitérées, un compte rendu de son ouvrage paru en 1788, la Lettre au peuple ou Projet d'une caisse patriotique. La raison en est, selon elle, que les rédacteurs dédaignent les ouvrages des femmes en matière politique. En revanche, elle ne semble pas les soupçonner d'avoir censuré le contenu «patriotique» (par ailleurs bien modéré) de son œuvre, ce qui pourtant a dû être le cas.

A partir de l'annonce de la convocation des Etats généraux, la rubrique «Administration» prend peu à peu la première place dans le journal. Aucun débat, mais la reproduction des discours du Roi et des ministres. A partir du 23 mars 1789 elle s'intitule «Etats généraux», mais ce n'est que le 20 mai que commencent les comptes rendus des débats, désormais autorisés par le directeur de la Librairie, M. de Maissemy (lettre publiée le 20 mai). L'instinct commercial des rédacteurs leur commandait de saisir cette chance mais de prendre bien garde à ne décevoir aucun lecteur. Dans une lettre non publiée à un député aux Etats généraux, on voit que les rédacteurs ne se considèrent pas comme des «écrivains absolument indépendants», mais l'on ne sait s'ils veulent dire indépendants du pouvoir ou de leurs lecteurs:

«Nous ne pouvons avoir qu'un vœu et un intérêt, c'est d'offrir au public l'instruction la plus exacte et la plus étendue à la fois sur les opérations de l'Assemblée Nationale; [...] mais nous sommes soumis à des règles de circonspection qui ne nous permettent pas toujours de présenter les objets sous les formes que pourraient y donner des écrivains absolument indépendants.

Ainsi, Monsieur, nous concevons que le nom de Chambre pour désigner l'assemblée des députés des Communes, n'est pas celui qui s'accorde avec notre principe et leurs mesures; mais nous nous en servons par le même motif qui nous fait employer toujours l'expression de Tiers-Etat, lorsque nous parlons en notre nom des Communes...» (14 juin 1789, B.H.V.P., ms. 772).

Eux qui s'étaient si bien habitués à se soumettre à la censure, se trouvèrent bien gênés d'être désormais responsables de leurs écrits politiques. Ils eurent la naïveté de croire qu'ils allaient s'en tirer en s'abstenant de «joindre aucune réflexion et d'entrer dans aucun détail susceptible d'inconvéniens» (J.P., 28 mai 1789); mission impossible. Leur prudence qui s'était toujours exprimée par la modération, leur fit choisir d'être modérantistes. Le J.P. reflétait les vues de la bourgeoisie aisée. Cette attitude est résumée par ce jugement, paru dans le J.P. du 29 décembre 1791, de Garat, rédacteur de la chronique des comptes rendus de la première Assemblée nationale: «Tous mes soins se portaient donc à présenter la vérité, mais sans la rendre effrayante». Le J.P. était proche de groupes comme la «société de 89», qui réunissait des personnalités aussi opposées que Malouet ou Condorcet; on sait combien leur évolution fut contraire.

La seule année exceptionnelle dans la vie du J.P. fut l'année 1792. Habituellement le J.P. ne cherche qu'à obéir au pouvoir, quel qu'il soit, et à participer à la gestion de la société sous ses ordres. Tant que dura l'utopie d'une collaboration entre le Roi et l'Assemblée, le J.P. représentait l'aile gauche, car il était franchement en faveur du Tiers, au point que Suard était allé écrire ailleurs. On a un exemple de la collaboration d'un des propriétaires à la formation des nouvelles institutions: le 9 février 1790, Bailly adresse une lettre à Cadet de Vaux pour lui soumettre ses idées sur la composition future de l'exécutif de la municipalité de Paris, dont il était le maire. Bailly pense qu'il est préférable que cet exécutif soit réduit: «cette forme ne vous paraîtrait-elle pas approcher plus de celle républicaine et préférable à celle des 24 administrateurs? [...] ces réflexions au reste ne sont que pour nous» (B.H.V.P., ms. 1212, f° 322).

Bien évidemment, le 17 juillet 1791, le J.P. soutient Bailly responsable de la fusillade du Champ-de-Mars. Garat quitte le journal à la dernière session de la Constituante et propose que Condorcet, auquel il est lié de longue date, lui succède. Les propriétaires du journal étaient flattés de compter dans leurs rangs ce célèbre philosophe. Ils ne pouvaient que respecter cette nouvelle légitimité qu'il avait acquise en étant élu député puis secrétaire de l'Assemblée législative. Mais ils n'avaient pas prévu que Condorcet allait se servir de sa chronique comme d'une tribune à un moment où la bourgeoisie commençait à s'entredéchirer. Les rédacteurs crurent plus prudent de licencier le philosophe au bout de 15 jours. Leur pusillanimité leur fit croire que la victoire serait du côté de l'ordre monarchique et ils acceptèrent le retour de Suard qui, de novembre 1791 au 12 août 1792, fit du J.P. un journal de droite, une tribune pour les Feuillants dont il faisait partie, grâce aux «Cabinets de Lecture» puis aux célèbres Suppléments, qui ne furent sûrement pas tous payants. De novembre 1791 au 10 août 1792, on compte 25 interventions d'André Chénier, 10 de Roucher, 8 de Pange, 8 de Suard, 8 de Chéron, et plusieurs de Dupont, Lacretelle, La Rochefoucauld, Morellet et Mazzei. L'assertion d'André Chénier selon laquelle il ne connaissait pas les auteurs du J.P. est irrecevable; son frère, Marie-Joseph, auquel il était lié avant la Révolution, et surtout Roucher, son ami politique, ami de Bailly, étaient reçus chez Corancez. Ils fréquentaient les mêmes milieux. Surtout Suard était l'ami de la famille de Chénier et c'est lui qui lui permit d'écrire dans le J.P. dès le 12 novembre 1791.

Le 10 août 1792, les insurgés s'attaquent au J.P. comme à l'un des plus dangereux des journaux contre-révolutionnaires; les locaux sont pillés, les machines détruites. Toute l'équipe de Suard, mise en échec, quitta le journal. Il est probable que Cadet de Vaux se défit de sa propriété à cette époque en partie à cause de sa fidélité déclarée au Roi à la suite du 20 juin et qui le compromettait. Il ne restait donc de l'équipe fondatrice que Corancez et son beau-père Romilly, très âgé. Corancez en rousseauiste convaincu embrassa la cause républicaine. Il s'associa Roederer, lui aussi républicain, dès le 1er janvier 1793. Ces deux raisons peuvent suffire à expliquer l'acceptation par Condorcet de parrainer cette nouvelle formule du journal.

Les relations entre les deux associés furent dès le départ conflictuelles; différends financiers, Roederer reprochant à Corancez de ne pas l'avoir payé pour son travail de 1793; de lui avoir menti sur le nombre des abonnés; d'être autoritaire. Rapidement le différend devient politique. Roederer est un de ces «modérantistes» que la fille de Corancez condamne dans ses mémoires. En 1797, Roederer attaque; à chaque fois qu'un article passé par Corancez lui déplaît, parce qu'il choque ses opinions bonapartistes, il publie une mise au point pour en dégager sa responsabilité. Corancez répond à la suite (voir J.P., 19 mars 1797). En 1798, Corancez contre-attaque; il refuse de passer certains articles de Roederer, et c'est l'altercation en pleine imprimerie, devant les ouvriers... Le conflit se termina par la défaite de Corancez. Roederer prétendit que Bonaparte avait menacé de supprimer le journal si jamais il y voyait encore inscrit le nom de Corancez; et il nota dans ses papiers, à propos de son associé: «ce fripon se faisait payer par le directoire pour déshonorer le journal et moi!». Peu avant le 18 brumaire, Corancez dut vendre sa part à Maret, le futur duc de Bassano, le fils d'un des collègues et amis de Cadet de Vaux, secrétaire de l'Académie de Dijon dans les années 1780. Le J.P. perdait ainsi son dernier fondateur.

Roederer et son nouvel associé, Maret, dévoueront leur journal à l'Empereur. En l'an XII, une circulaire sera envoyée à tous les préfets pour leur recommander le journal. La nouvelle «théorie du Journal de Paris », que Roederer présente le 1er vendémiaire an IX, ressemble étonnamment au prospectus de 1777 et au commentaire de François de Neufchâteau paru les 23 et 24 février 1778, à cette différence près que les rubriques politiques sont en première place mais qu'il n'est plus question d'être «utile» ni d'être une «correspondance familière». Journal de la bourgeoisie éclairée au XVIIIe siècle, le J.P. devint au XIXe siècle, selon l'expression de Roederer, le «journal des notaires et des cafés». Il n'avait pas changé de nature, il avait seulement vieilli.

Additif

Contenu, rubriques, centres d’intérêt, tables: La rubrique météorologique apparaît dans le J.P. dès ses débuts. et semble avoir suscité l’intérêt des lecteurs. Elle comprend, sous forme de tableau en tête de la première page du journal la date, les heures de lever du soleil et de la lune, le «rapport du temps vrai au temps moyen», la hauteur de la Seine, les heures d’allumage et d’extinction des réverbères, et, rassemblés sous accolade: les températures, pressions barométriques, vitesses du vent et état du ciel aux heures de la journée. Il s’agit de constatations faites la veille, et non de prévisions. La Bibliothèque Mazarine conserve des tables partielles manuscrites qui semblent avoir été utilisées par le J.P. Le Dictionnaire national et anecdotique pour servir à l’intelligence des mots (1790) signale en note, à propos du J.P.: «On nomme dans les journaux article météorologique, celui qui annonce le vent qui a soufflé la veille, et le temps couvert ou serein. Il est fait par un homme de l’art».

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JOURNAL DE PARIS

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