ÉPHÉMÉRIDES DE L'HUMANITÉ

Numéro

0373

Titre(s)

Ephémérides de l'Humanité, ou Bibliothèque raisonnée des sciences morales.

Bimensuel publié à partir du 15 janvier 1789 ; Prospectus dans la Gazette de Liège du 16 février 1789. Non retrouvé. P. Lebrun-Tondu aurait été à l'origine de la publication (D.P. 2).

Titre indexé

ÉPHÉMÉRIDES DE L'HUMANITÉ

Description de la collection

2 vol. ; numéros de 96 p. in-8° chacun, d'après Xavier de Theux de Montjardin (p. 1421).

Édition(s), abonnement(s), souscription(s), tirage(s)

Liège, chez Smits, Lebrun et Cie.

Fondateur(s), directeur(s), collaborateur(s), contributeur(s)

A.F.J. FRÉVILLE et P. BARET.

Bibliographie

D.P. 2, art. «Le Brun-Tondu». – Capitaine U., Recherches historiques et bibliographiques sur les journaux et les écrits périodiques liégeois, Liège, Desoer, 1850, n°  130, p. 261-262. – Theux de Montjardin X. de, Bibliographie liégeoise contenant les livres imprimés à Liège depuis le XVIe siècle jusqu'à nos jours, 2e éd., De Graaf, 1973. – Rétat P., Les Journaux de 1789 : bibliographie critique, Paris, C.N.R.S., 1988, n°  359, p. 369-370.

Auteur

Additif

Titre

Devise : “Hæc summa est sapientia, bona malaque distinguere” (Sénèque, Lettres à Lucilius).

Dates, périodicité

Bimensuel, “sort le 15 et le dernier de chaque mois” (Annonces, Articles et Avis divers, 3 janv. 1789, p. 15). Début : 15 janvier 1789. Arrêt : 30 juin 1789.

Description de la collection

Cahiers in-8° (12x19 cm), de 64 à 72 pages, malgré les 96 annoncées. La mise en page est soignée et les paragraphes sont espacés et bien disposés ; au début et à la fin des articles ou des cahiers, il y a souvent des culs-de-lampe, fleurons et autres ornements. Les articles sont parfois terminés dans la livraison suivante. Les volumes sont divisés par trimestre ; la pagination est continue et recommence au début du trimestre. Il n'y a pas d’indications éditoriales concernant  les subdivisions des livraisons, mais les signatures alphabétiques des feuilles indiquées en bas de page, des déclarations rédactionnelles (vol. II, p. 64; p. 136; p. 200), et des références explicites (vol. I, p. 268), permettent de déterminer la composition de chaque cahier. On signale, en les encadrant, les premières pages des douze livraisons. “Douze cahiers” est aussi la quantité de numéros (encore brochés) gardés par Dubois de Schoondorp dans sa bibliothèque à Gand (ann. n° 45). Les livraisons sont parues régulièrement : le dernier texte publié, une Lettre de Mirabeau, date de mai 1789 (Troisième lettre du Comte de Mirabeau à ses Commettans, 12 mai 1789, p.56 ; voir aussi Quastana, p. 113). Toutes les données temporelles directes (dates) ou indirectes (événements évoqués) contenues dans les deux tomes de la collection  se situent entre janvier et mai 1789.

Édition, abonnements, souscriptions, diffusion

Éphémérides / de / l’Humanité, / ou / Bibliothèque / raisonnée / des sciences morales. Aux dépenses de la Société, 1789. L’imprimeur n’est pas mentionné, mais le journal est édité à Herve, près de Liège (duché de Limbourg), par la “Société Typographique” dont Pierre Lebrun-Tondu est le principal animateur : “J.J. Smiths, Lebrun et Cie (Capitaine/1867, p. 36-40 ; idem/1850,  p.261-262 ; Gason, p.187s.). La même “Société” publie déjà le Journal général de l’Europe de Lebrun, avec la collaboration rédactionnelle de Fréville (voir infra) pour les articles d’économie politique.

“Le prix de la souscription est de 24 liv. par an. On s’abonne en tout tems aux Bureaux des Postes aux lettres, à Herve, Battice, Néaux, Limbourg et Audimont; ainsi que dans tous ceux des Pays-Bas, de l’Allemagne, de la France, d’Italie, etc.”(Annonces, Articles et Avis divers, 27 janv. 1789, p. 59).  À Battice “on souscrit chez M. Leruth [directeur des Postes]”(idem, 3 janv. 1789). Le journal est peut-être publié clandestinement : Francotte (p.135) remarque que dans les deux annonces susmentionnées, publiées en janv. 1790, on n'indique pas l’adresse d’un bureau d'administration et de distribution, mais les abonnés – y compris les résidents locaux – sont invités à se servir des bureaux de poste.

 Diffusion : Lebrun et Smiths peuvent compter sur un réseau de correspondances et de contacts consolidé dans les années précédentes (Vanderschuren, p. 255-257). À Paris, le journal est distribué par “[Joseph-Étienne Legrand-]Lavillette [(17..-1827)], Libraire, Hôtel de Bouthilliers, rue des Poitevins [n°13]” (Annonces de bibliographie moderne, t. I, p. 26-27).

La rareté et les contenus “difficiles” des É. suggèrent un tirage et un lectorat limités : “This important organ of the Fisiocratics is excessively rare” (Higgs, p. 395). Fréville lui-même (voir infra) semble en être conscient lorsqu’il esquisse un profil idéal de ses lecteurs : “personnes d’un esprit solide, capables d’études sérieuses, et plus sensibles aux fleurs d’une vérité que d’une littérature légère” (É., t. I, p. 285).

Fondateurs, directeurs, collaborateurs, contributeurs

“Ce Journal […] sera rédigé pat M. l’Abbé [Anne-François-Joachim] de Fréville [(1749-1832) ; (1750?-18..), suivant la Notice de personne de la BnF], connu déjà dans le monde Littéraire par de profondes dissertations sur la Politique, la Morale et la Métaphysique” (Annonces, Articles et Avis divers, 3 janv. 1789,  p. 15). La lecture des É., ainsi que le contenu des deux annonces de Lebrun –source directe, absolument fiable – confirment que Fréville (ci-après F.) est le candidat principal – sinon unique – au titre de rédacteur du journal. Barbier (vol. II, p. 139) est du même avis ;  G. Weulersse (p. 28) : “[F.] rédige à peu  près seul” ; Dictionary of Political Economy (vol. I, p. 747) : “entirely written by A. F. J. Fréville”; voir enfin Higgs, p. 395. Les informations sur F. sont encore rares et incertaines ; pour une bibliographie et un profil biographique sommaire du personnage voir, outre le catalogue BnF,  Quérard, t. III, p. 213-215 ; Pancera, p. 222-224.

Collaborateur présumé : Jean-François Baret, indiqué par certains répertoires du XIXe siècle : Feller, t. I, p. 435; Theux de Montjardin, p. 592 : Robinet, vol.1, p. 104; Le Bibliophile belge, I (1866),  p. 385.

Contenu annoncé:

Un prospectus (non retrouvé) est distribué à Liège par le libraire Demazaux, “au bas du Pont-d’Isle, à l’Anneau d’or” (Gazette de Liège (Avertissemens de Liège, n° 20), 16 févr. 1789 ; voir aussi Rétat, p. 370). En janvier 1789, deux annonces de lancement sont publiées dans le Journal général de l'Europe : “L’Agriculture, le Commerce, l’Industrie, l’Impôt, la Justice, la Police, la Législation, la Paix, la Guerre, et tous les Actes d’administration qui, d’un bout de l’Europe à l’autre influent sur la destinée des peuples, la science de l’ordre, enfin, tels sont les grands et intéressans objets, qui feront la matière de ce Journal” (Annonces, Articles et Avis divers, 3 janv. 1789, p.15). Dans les Annonces de bibliographie moderne (t. I, p. 26-27), on ajoute : “Ce Journal, […] d’une très-belle impression, a pour objet l’exposition, le développement et l’application des vrais principes de l’ordre social à toutes les parties du gouvernement. On trouve partout le langage de la raison, de la justice, et de la vérité”.

Contenu réel:

vol I, p. (1)  “Tome premier”.

p. (3)-68. Introduction.

[Note. Dans ce texte liminaire, long et articulé, F. développe ses thèses physiocratiques orthodoxes, déjà présentées en différents contextes dans le Journal général de l’Europe, et synthétisées dans une Lettre au Rédacteur de L'Année Littéraire publiée dans le journal de Fréron en 1781 (vol. VIII, p. 41-72). Cette dernière intervention, en polémique avec l'abbé Royou (Journal de Monsieur, 1781, t. V, p. 102 s.), avait été précédée, toujours dans L'Année Littéraire (1781, vol.V, p. 289-313), par un commentaire de F. très critique du contenu des Réflexions impartiales sur l'Amérique de Joseph Galloway (Paris, Moutard, 1781 ; orig. : London, 1779) ; contre l'opinion de l'auteur loyaliste, F. y avait pris une position claire en faveur de l'indépendance des colonies américaines].

- En tête de l’Introduction, une longue citation de Le Trosne (De l'ordre social, 1777), suivie d’un éloge enthousiaste de Quesnay, “génie sublime” qui “a devancé son siècle” et a “découvert et démontré” “le système du  monde social” “comme Copernic et Newton avoient découvert et démontré celui du monde physique” (p. 4). Les “prohibitifs” auxquels F. s’en prend souvent, ainsi qu’aux nombreux “ignorants” qui les écoutent, sont “les plus redoutables fléaux d’une nation” (p. 6). “Le premier devoir d’un homme de lettre est de consacrer ses veilles et ses travaux à mettre à la portée de tous les esprits des vérités dont la connoissance seule peut faire désirer au peuple des réformes d’où dépend sa prosperité. Le bonheur est le vœu général des nations. Il est la grand fin de l’association civile” (p. 7).

- Loi de “sociabilité” : “le besoin que nous avons de la société, en précède l’existence” (p. 14).

- Loi naturelle : “La loi naturelle […] consiste […] pour l’homme dans l’obligation de diriger ses actions sur les loix de l’ordre moral, essentiellement conforme à l’ordre physique le plus avantageux au genre humain” (p. 17).

[Note. Ce passage, ainsi que d'autres contenus dans l’Introduction, se retrouve textuellement dans une anonyme Lettre sur la suppression de tous les impôts (Paris, Nyon le jeune) publiée, très probablement, en automne 1789 (Journal encyclopédique, 15 nov. 1789, pp. 33-42 ; idem, déc. 1789, p. 389-393). Dans la Lettre on remarque une parenté étroite de contenus, style et vocabulaire avec le langage et le modus cogitandi de F.].

- “Tous les hommes sont égaux de droit” (p. 19). “Le droit naturel, en conséquence de cette égalité […] se désigne sous le nom général de justice. La justice est donc la parfaite égalité de droit que chaque homme tient de la nature” (p. 20).

[Note. Cette dernière définition, qui reprend encore l'une des thèses fondamentales de Quesnay et des “économistes”, est appréciée par l'auteur anonyme – souvent identifié comme Jacques-Antoine Dulaure (1755-1835) – d'une physiocratique Déclaration des droits du citoyen (p. 9) , publiée à la fin de 1789 ou au début de 1790 (Paris, Maradan ; voir Annonces de bibliographie moderne, vol. I, p. 219) ; selon lui, les É. de l'Abbé de Fréville” sont “excellentes”].

- “Cultivation de la terre” (p. 24 s.) : “le cultivateur d’un champ a le droit de l’enclore. Il a la possession exclusive du fond et des fruits […]. Toute restriction à son droit de possession exclusive est une violation de son droit naturel” (p. 26).

- Propriété : “La propriété en général, est la possession acquise par le travail, sans usurpation sur le droit de possession d’autrui” (p. 26). F. cite Robinet, Le Droit naturel  (Dictionnaire universel, t. XVI, p. 463 ; le Dictionnaire de Robinet avait été imprimé à Liège peu d’années auparavant (1777-1783)  par l’imprimeur-libraire Clément Plompteux).

- Propriété foncière : “le droit de propriété est indépendant des conventions et […] précède l’établissement des sociétés politiques” (p. 28 s.). Étant donné cette prémisse, F. critique Rousseau et Montesquieu ; “le travail est le seul titre des biens qu’on a acquis et qu’on possède” ; “l’homme ne perd rien dans l’association civile ; il y porte tous ses droits, et en obtient la sûreté. L’érection d’une autorité souveraine […], n’a précisement pour objet que de maintenir chaque citoyen dans toute la plenitude de sa libertè et de sa propriété” (p. 37).

- Il existe trois droits individuels, “indépendants de toute convention” (p. 38 s.) : “sûreté de sa personne”, “liberté de ses actions”, “propriété de ses biens”. “Les conséquences qui découlent de ces principes généraux, sont innombrables. Mais la liberté de l’agriculture, celle du commerce et de l’industrie, doivent paroître les plus frappantes” (p. 47).

- Centralité de la terre et du travail agricole : “la terre est l'unique source des richesses, et ceux qui la travaillent, la rendent productive et y investissent énergies et ressources doivent la posséder (p. 51). “N’est pas un fait, que la richesse d’une nation dépend de son revenu territorial, qui dépend lui-même des avances de l’état de la culture, qui sont encore relatives à la liberté plus ou moins étendue dont jouit le commerce ?” (p. 55).

- Autre tirade contre les “prohibitifs” et “leur manie réglementaire” (p. 56).

- Autorité souveraine : “le monarque n’a qu’un pouvoir d’exécution ; mais que sa fonction est grande, et sublime ! Son plus grand intérêt, indivisiblement lié avec l’intérêt de chaque citoyen, est de faire observer, et d’observer lui-même les loix de la justice” (p. 61).

- Nécessité d'une réforme radicale de l'administration publique (64 s.).

p. 69). ÉPHÉMÉRIDES/ DE L’HUMANITÉ, / ou / BIBLIOTHÈQUE RAISONNÉE / DE SCIENCES MORALES.

p. (69)-108. Analyse. “Discours dans lequel on examine les deux questions suivantes : 1°. Un monarque a-t-il le droit de changer de son chef une forme de constitution évidemment vicieuse ? 2°. Est-il prudent à lui, est-il de son intérêt de l’entreprendre ? Suivi de réflexions pratiques. Par Mr. Le Comte [Joseph-Niklas] de Windisch[-]Graetz. 1789”. Les théories et propositions du comte, un “champion de l’absolutisme” (Dictionary of Political Economy, vol. I, p. 747), sont rapportées et polémiquement réfutées par F. : l’autorité souveraine ne doit être rien d'autre que “la force commune ou publique” (“volonté commune”) formée par la “réunion des forces particulières” (p. 87). Nécessité d’un souverain : “la nation ne peut pas être toujours assemblée. […] Elle a donc besoin d’un agent qui en dirige l’exercice conformément à la volonté générale. De là, l’établissement d’un magistrat suprême, dépositaire d’un pouvoir souverain pour l’exécution des loix” (p. 88). F. propose (p. 99-100) un modèle de souveraineté "éclairée", dans laquelle le monarque est le premier garant constitutionnel, “l’homme de la loi”, “la loi vivante” (p. 101).

[Note. Outre l'analyse de F., principalement théorique, l'essai de Windisch-Graetz suscite également une Lettre sur le discours de M. le Comte de Windisgratz (s.l., 1789), écrite par un anonyme "vrai Patriote" et tout aussi critique à l’égard de l’absolutisme du comte, mais à caractère plus politique et pragmatique. L'opinion du  rédacteur des Annonces de bibliographie moderne  (vol. I, p. 81) est, par contre, favorable à  Windisch-Graetz : “ses raisons sont victorieuses, et ses réflexions sages, et bien présentées”].

p. 108-132. Principes sur lesquels la loi de l’impôt doit être établie. Nécessité d'introduire un impôt primaire calculé sur le revenu annuel produit par les cultures : “la terre étant la source de toutes les richesses, elle est aussi la source de toutes les dépenses. Il est donc évident que l’impôt […] se trouve être une part plus ou moins forte des fruits de la récolte” (p. 121). Seul le gain primaire généré par le travail de la terre doit être taxé (p. 126), et tout impôt indirect est à abolir.

p. 133-158. Suite des observations sur le discours de Mr. de Windischgraetz. F. : “de la suppression d’une loi vicieuse, à laquelle on substitue une loi favorable à tous les droits de l’homme, il ne résulte que des avantages pour les citoyens, comme pour l’état” (p. 135). “Le despotisme [est] la source empoisonnée de tous les maux que peuvent souffrir les sociétés” (p. 140). “La justice veut et ordonne qu’on mette la plus grande activité à changer les mauvaises loix” (p. 143). Un “prince éclairé”  (p. 151 s.), qui accueille avec sagesse et discernement les demandes légitimes de changement constitutionnel, sera un véritable “fondateur de la nation”, destiné à la postérité.

p. 159-200. Des États Généraux en France. Scepticisme à propos des États généraux : “une assemblée, composée de trois ordres distincts imbus d’opinions factices,  entichés de privilèges de naissance ou d’état, est peu propre à la discussion des vrais intérêts de la nation” (p. 163). Proposition alternative de F. (p. 164) : “l’établissement d’un conseil national” composé de représentants des administrations provinciales. Publication (p. 166 s.) et analyse du rapport de Necker sur les États généraux ; opinion de F. : “la France est un état essentiellement agricole”, composé de trois classes, “les propriétaires fonciers”, “les entrepreneurs de culture” et “les gens de commerce et de l’industrie” (p.172 s.) ; la seule catégorie qui doit être représentée (en tant que seule catégorie de contributeurs) est celle des propriétaires fonciers. Les nobles et les ecclésiastiques ne doivent pas participer aux États généraux ; ils peuvent le faire seulement s'ils sont (aussi) des propriétaires fonciers ; c'est un mauvais critère (p. 182 s.) que de vouloir déterminer la consistance de la représentation en fonction de la quantité de population résidente dans les baillages ; un bon critère pour ce faire (p.191 s.) est de considérer les différents “progrès de la culture”. L'intérêt général à représenter doit être celui de la terre et des propriétaires fonciers, qui sont les seuls producteurs de la richesse nationale. Le problème crucial de la représentation pourrait se résoudre positivement, selon F., avec l’introduction d’un “seul impôt” déterminé sur la base du “revenu” de la production de chaque territoire : “comme il n’y aura plus qu’un seul intérêt, toute division cessera entre les différents ordres” (p. 200).

p. 201-240. Analyse. “[Joseph-Antoine-Joachim Cerutti,] Mémoire pour le peuple françois [(s.l., 1788)]”. Cerutti surestime (p. 206) le rôle joué par le commerce et l'industrie en tant que producteurs de richesses ; F. répète sa thèse : la seule richesse produite est celle de la terre ; il faut donc activer une “loi de l'impôt” primaire, qui doit être “la première loi constitutive d'un bon gouvernement” et qui peut procurer à la France “une population de plus de quarante millions, tous dans l'aisance” (p. 224). Suppression de tout impôt indirect, “fléau qui désole les campagnes” (p. 210). Montesquieu a commis “une erreur” (p. 216) en confiant la garantie de la liberté politique à la “répartition des trois pouvoirs”. Pour ce qui est des droits et des prérogatives des différentes “classes” répresentées aux États généraux, F. propose à nouveau (p. 223) de les remplacer par des représentants des administrations provinciales “appuyées d'un conseil national permanent”.

p. 241-243. Lettre du Roi pour la convocation des États-généraux à Versailles, le 27 Avril 1789.

p. 243-264. Réglement fait par le Roi, pour l’exécution des Lettres de convocation. “Du 24 Janvier 1789”.

p. 265-267. Lettre aux auteurs des Éphémerides de l’humanité. Bruxelles, le 19 Février 1789. Réponse de Windisch-Graetz, qui plaisante et fait de l’ironie sur Quesnay et sur la justesse de théories qui prétendent résoudre le problème complexe et articulé d'une “législation parfaite” avec des “formules de calcul” et des maximes “infaillibles”.

p. 268-284. Observations sur la lettre précédente. F. défend le génie de Quesnay, reconnu aussi par Mirabeau dans “De la monarchie prussienne, Tome III, in-8°. p. 254 [(1788)]”, et il rappelle à Windisch-Graetz que “le citoyen ne tient pas ses droits de liberté et de propriété du gouvernement, mais de la nature. Dans le monde civilisé, ces droits sont sous la protection de l'autorité souveraine. La fonction du monarque est de les maintenir” (p. 280).

p. 284-336. De la circulation des richesses, ou l’on examine la doctrine qu’a exposée Mr. Necker sur cette question importante, dans le XXIme chapitre du tome III de l’administration des finances de la France. La circulation des richesses, avertit F. (p. 285), est un sujet d'économie politique abstrait et difficile, qui requiert une “attention soutenue”. Necker (p. 288) fait consister la circulation des richesses dans le “numéraire”, en monétisant (or et argent) leur valeur en fonction de la relation d'échange, mais en oubliant (p. 292) que ce sont les productions qui circulent, et non l'argent, qui n'est que “le gage de la chose que nous vendons pour celle que nous voulons acheter” (p. 291). “L’état ne manquera jamais d’argent au besoin, quand son territoire sera mis en grande valeur par une riche culture. La rareté de l’argent ne se fait donc sentir […] que quand sa culture est languissante, appauvrie, ruinée par une foule d’impôts et de réglements” (p. 292) ; F. demande avec force l’élimination de toute restriction à la liberté du commerce. “L’argent n’est pas un moyen de multiplier les richesses” ; “il n’est qu’une unique source de richesses et de dépenses, la terre” (p. 304), et la “la circulation des richesses a sa cause dans la récolte de chaque année” (p. 310). Dans une société divisée en trois classes – propriétaires fonciers, agriculteurs et agents commerciaux et industriels – on ne peut pas affirmer, comme le fait Necker, que "chacun se paye ses denrées. La classe des proprietaires fonciers achète des deux autres et n’a rien à leur vendre” (p. 326); F. dénonce (p. 327) les dégâts causés par la taxe “des Aides”, qui rend la valeur du vin presque nulle. “Supprimons les aides ; la nation va se trouver plus riche de deux cents millions” (p. 329). Le prix des denrées et “la somme des dépenses n’est […] pas en raison de [“l’étendue” de] la population”, mais “en raison de l’aisance ou de la misère” (ibid.). “L’affreuse doctrine des emprunts, dont Mr. Necker se déclare l’apologiste” (p. 332) aura des résultats négatifs, entraînant une augmentation progressive de la dette publique.

p. 337-394. Loi de l’impôt, dont l’institution procureroit aux Provinces Belgiques le plus grand accroissement de richesses. F. récapitule une fois de plus : “la terre seule peut fournir les fonds annuels de la dépense publique. Mais […] quelle que soit la forme choisie pour la formation du revenu de la souveraineté, il sera toujours et nécessairement payé par les possesseuers de la terre” (p. 340). Ensuite (p. 343 s.), il propose l'introduction d'un impôt territorial unique calculé sur la base d'un cinquième du revenu – net de dépenses – fourni annuellement par les cultures et payé par les seuls propriétaires fonciers : “la classe des agens du commerce et de l’industrie, ainsi que la classe des cultivateurs doivent être […] exemptes de toute contribution à la dépense publique” (p. 343). “Si les états des provinces belgiques se reunissoient, pour demander de concert à Sa Majesté Impériale la suppression de tous les impôts existans, dans le dessein de leur substituer l’impôt tèrritorial, unique et proportionnel au revenu des proprietaires, Sa Majesté le leur accorderoit avec d’autant plus de plaisir, que l’accroissement des revenus particuliers ne pourroit qu’augmenter  le revenu public et la puissance de la souveraineté” (p. 345) ; les caisses de l'État belge tireraient de cet impôt unique un revenu supérieur à celui qu'elles obtiennent en conservant le système actuel de taxation et de prélèvement, caractérisé par un “régime prohibitif” (p. 349). “Tout acte transactif de la propriété d’un fond rural, renfermeroit la condition tacite de l’aliénation du cinquième à la souveraineté” (p. 350). Contre le “régime insensé” d'impôts sur la consommation (p. 353) ;  encore contre l’impôt des “Aides sur les boissons”, qui “anéantit plus de 100 millions de revenu que devroient recevoir les propriétaires des vignes” et provoque une baisse générale du pouvoir d'achat, une perte de valeur de la production et, par conséquent, un appauvrissement de l'État. “Ce n’est pas la population en elle-même, mais son état de prospérité ou de misère, qui influe plus sur la valeur des productions” (p. 358). Le système des impôts indirects rend aléatoire le “droit imprescriptible” de la propriété et le droit de chacun d'en jouir librement. Thèse de F. (p. 367) : chacun doit avoir le “droit [...] de vendre et d'acheter dans un état de pleine concurrence, et de faire tout ce que la justice peut permettre”. L'introduction d'un impôt direct unique “rendroit tous les citoyens riches, libres, et heureux” (p. 369). Constats conclusifs (p. 377 s.) : il est de l'intérêt des propriétaires fonciers d'introduire un seul impôt territorial, qui est de toute façon “dans l'essence des choses” ; il n'existe pas dans l'“Europe moderne” de “nation agricole” qui prospère “sous le régime des loix prohibitives”.

p. 395-400. Lettre au Rédacteur des Éphémerides de l’humanité, de “Paris, ce 18 Févr. 1789”). Première d'une série de Lettres philosophiques sur le livre de l’Esprit des Loix, qui vise à mettre en évidence certaines “erreurs” commises par Montesquieu.

Vol. II, p. (1) : Antiporte ; p. (3) : “Tome second”.

p. (5)-54. Analyses. Lettres philosophiques et politiques sur l’histoire de l’Angleterre, depuis son origine jusqu’à nos jours, “Ouvrage traduit de l’Anglois. Nouvelle édition. À Paris, chez Nyon” // Constitution de l’Angleterre, ou état du gouvernement anglois, comparé avec la forme républicaine et avec les autres Monarchies de l’Europe [(1775)], “Par Mr. [Jean-Louis] de Lolme, membre du Conseil des deux-cent de la république de Genève […] À Genève, chez Barde; et se trouve à Paris, chez Buisson [(1789)]”. “Nous allons présenter de suite l’analyse de ces deux ouvrages. Le premier renferme la série des évènements qui ont préparé, amené, affermi, la constitution britannique, dont le second nous offre un tableau raisonné” (p. 6). “Les Lettres philosophiques ont été toujours attribués au lord [Georges] Lytteleton [(1709-1773); mais aussi à Oliver Goldsmith (1730?-1774) : voir catalogue BnF]”. Résumé du contenu des Lettres philosophiques.

[Note. En 1776,  F. traduit de l’anglais The Rights of Great Britain asserted against the claims of America / Les Droits de la Grande Bretagne, établis contre les prétentions des Americains, de James Macpherson (?) ; en 1777,  An answer to the declaration of the American Congress / Réponse à la déclaration du Congrès américain, de John Lind].

p. 55-57. Lettre au rédacteur des Éphémérides de l’humanité ; “Bruxelles, 10 Avril 1789”. Un abonné demande (et se demande) si une “liberté absolue de commerce” - comme la préconise F., avec une libéralisation complète des prix – ne risque pas d’être “excessive” et “dangereuse”.

p. 58-64. Réponse à la Lettre précédente. Analysant le commerce des bleds, F. rappelle au lecteur que “la liberté indéfinie du commerce en général est très-certainement dans l’ordre des loix de la justice”, corollaire de la liberté d'action et du droit à la propriété (p. 61).

p. 65-82. Suite du même sujet. La libre concurrence garantit que les marchandises aient toujours un “bon prix”, à savoir “le prix le plus avantageux pour toutes les classes de citoyens, même au peuple le plus pauvre” (p. 68). Encore (p.72 s.) contre l’impôt des Aides et contre “les prohibitifs, si inclinés pour régler le commerce des grains” ; une “concurrence illimitée” doit être préférée à toute forme de monopole ; dans le cas des bleds, à tout prix controlé ou à toute limitation des quantités importées ou exportées (p. 77).

p. 82-102. Administration. Patente de l’Empereur, qui établit d’impôt térritorial en Bohème, en Moravie, en Silésie, dans l’Autriche, etc. “Du 10 février 1789”. La science des loix de l’ordre : “S’il est une science faite pour être le sujet des études et des méditations de l’homme d’État, c’est, sans contredit, la science des loix de l’ordre. C’est de l’observance de ces loix, dictées par la justice éternelle, et de leur observance uniquement, que les sociétés politiques peuvent retirer les avantages qui n’auroient jamais dû cesser d’être le fruit que la réunion des premiers hommes en société a eu pour objet” (p. 82). Après une réflexion (p. 83 s.) sur le caractère socialement destructif des assiettes de l’impôt “irrégulières” et “vicieuses” et une critique des choix économiques de Colbert, F. rapporte (p. 86 s.) le texte de la Patente réformatrice de Joseph II ; son jugement est en principe positif, même si Joseph II s'est limité à la suppression des douanes internes et a établi un système de taxation de l'agriculture calculé sur la valeur de la totalité de la production (“produit brut”) et non sur le seul revenu  net effectif.

p. 102-136. Constitution de l’Angleterre. F. publie en les commentant des extraits de la constitution anglaise, dont il critique le parlementarisme (p. 105 s.), et la “singulière prérogative […] qui autorise le roi à annuller, de sa propre volonté, l’effet des délibérations des deux chambres” (p. 116); le régime fiscal anglais n'a "ni règles, ni mesures : c’est une hydre qui doit tout détruire” (p. 127). Il renvoie au prochain cahier “l’examen des points les plus intéressants de cette constitution qui, malgré ses défauts, l’emporte infiniment en sagesse et en raison sur les constitutions des autres peuples de l’Europe” (p. 136).

p. 137-187. Suite de l’examen de la constitution de l’Angleterre. Encore à propos des lois fondamentales de la personne : liberté, propriété, sécurité ; ces libertés en Angleterre sont garanties constitutionnellement, mais rendues presque inefficaces par un système de contrôles et de “loix prohibitives” (p. 139). Jugement positif, au contraire, sur l'état de la législation anglaise concernant la liberté de la presse (p. 140 s.), et le droit de résistance aux abus du pouvoir exécutif (p. 146 s.). Publication sans commentaire (p. 148 s.) d’extraits relatifs au “droit observé en Angleterre dans les matières civiles” et à “la justice criminelle (p. 153). Approbation de la jurisprudence anglaise, “si sage, si humaine, si conforme aux loix de la justice humaine” (p. 162). Agriculture anglaise : “il n’est point de contrée en Europe où la culture soit plus florissante” (p. 174) ; F. rappelle une étude sur les importations et exportations britanniques (State of the Trade of Great Britain in its imports and exports progressively from the year 1697, London, 1776), rédigée par le diplomate Charles Withworth (1721-1778?), et analysée par Nicolas Baudeau (que F. ne mentionne cependant pas), “un homme connu par l'étendue de ses lumières, dans le Mercure de France de juillet 177[8, p. 166-176]”. Enfin (p. 181 s.), il critique ceux qui ont jugé approprié de séparer la liberté civile et politique de la liberté de commerce, comme Montesquieu dans son analyse du commerce anglais.

p. 188-196. Considérations sur l’impôt, ou essai analytique sur les principales manières d’établir la contribution nécessaire à la defense et au maintien de l’État, “(par Mr. [Joseph Antoine] Walwein de Tervliet). A Londres, et se trouve à Bruxelles, chez Emmanuel Flon. 1789”. Jugement positif sur l'ouvrage, qui dénonce la nocivité et le coût élevé des impôts indirects pour les propriétaires fonciers ; mais F. s’exprime négativement (p. 194), sur le choix de l'auteur de maintenir certains d'entre eux.

p. 197-200. Lettre au rédacteur des Éphémérides de l’humanité à propos de l’Histoire philosophique et politique des établissements du commerce des Éuropéens dans les deux Indes, de l’abbé Raynal (1770 ; 1780). “J’ai été long-tems un des plus sincères admirateurs de cet ouvrage [l’Histoire philosophique]; mais le charme est rompu, l’illusion est entièrement dissipée, et je tiens pour la vie aux vrais principes de l’ordre, à la démonstration desquels votre Journal, unique dans l’Europe, paroît consacré” (p. 197). Dans l'opinion du (soi-disant) lecteur, Raynal montre des “idées vagues et incomplètes, factices et incohérentes, fondées sur d’antiques préjugés” (p. 200).

p. 201-261. Examen des principes de Mr. l’abbè Raynal, sur les travaux du commerce et de l’industrie, dans leur rapports avec l’intérêt des nations agricoles. Article déjà publié par F. (qui ne fait pas mention de la provenance du texte) dans le Journal général de l'Europe : “La lettre qu’on va lire est extraite d’un manuscrit qui contient plusieurs observations critiques sur les erreurs, les inconséquences, et les méprises répandues dans l’Histoire Philosophique” (Bibliothèque raisonnée de littérature, sciences et arts, 1786, t. I, p. 82; p. 82-118 pour l’article). Quelques paragraphes finaux dans la version des É. (p. 258-260) proviennent des Nouvelles Éphémerides économiques de Baudeau (1775, t. IX, p. 103-105).

Critique sévère et scrupuleuse de plusieurs contenus de l'Histoire des deux Indes. Raynal est souvent accusé d'incompétence, stérilité de pensée et confusion d'idées, surtout pour sa définition du commerce et de son rapport avec l'agriculture. Dans la dernière partie de la Lettre (p. 247 s.) est contenu un jugement tout aussi negatif sur le mercantilisme de Colbert et sur les choix opérés par son “administration désastreuse” : “pour hâter les progrès de la culture, il [Colbert] défendit l’exportation des grains, même de province à province; et […] à cette loi destructive de la richesse des campagnes il joignit une foule de prohibitions de commerce” (p. 250).

[Note. En 1775, F. traduit un essai (de 1773) de l'agronome anglais John Arbuthnot of Mitcham : An inquiry into the connection between the present price of provisions, and the size of farms / De l’utilité des grandes fermes, et des riches fermiers; Arbuthnot y soutient la nécessité d'une complète libéralisation du commerce du blé (De l’utilité…, dans Arthur Young, Arithmétique politique, La Haye, Gosse, 1775, t. II, p. 139 s.). En 1779, F. revient sur le sujet en écrivant un court essai Sur la liberté du commerce des grains  – “fort bien raisonné”, selon le Mercure de France (18 mars 1780, p. 134) – publié en 1779 comme note annexée au poème Les mois, de Jean-Antoine Roucher (Paris, Quillau, 1779, t. II, p. 58-66); dans ce texte, F. partage totalement l’opinion d’Arbuthnot et dénonce la nocivité de l'“impôt des Aides” (loc. cit., p. 65-66)].

p. 262-272.  Des états généraux en France.  Transcription intégrale du compte rendu de Mirabeau sur la séance d'ouverture des États généraux (États généraux, “Versailles, le 5 Mai 1789”, p. 9-15).

273-315. Analyse. Encyclopédie méthodique, économique, politique et diplomatique “par Mr. Desmeunier, avocat et censeur royal. Tome I. À Paris, et se trouve à Liège, chez Plompteux”.

[Note. Sans mentionner la provenance du texte, F. reprend également cette “analyse” du  Journal général de l’Europe (Bibliothèque raisonnée de littérature, sciences et arts, 1786, t. III, p. (5)-62)].

Critique de Démeunier, qui a divisé l’économie politique en trois parties : “1. La géographie politique. 2. L’économie politique et l’administration. 3. La diplomatique. Assurément, M. Desmeunier n’est pas heureux dans la division de son sujet. L’économie politique est la tige, dont toutes les autres parties ne sont que des branches” (p. 278) ; l'économie politique est la "science de gouverner les hommes d’après les loix de la justice”, la “science du gouvernement” (p. 279). Ensuite (p. 281 s.), F. examine la voix Agricole du Dictionnaire, rédigée par le physiocrate Guillaume Grivel ; il la juge très favorablement, puis il publie (287 s.), en les expliquant, les trente Maximes générales du gouvernement économique d’un royaume agricole (1767), avec lesquelles Quesnay a créé “la vraie science du gouvernement”.

p. 316-325. Liberté de la presse (s.l., mars 1789 ; attribué à l’abbé Petiot). Des extraits de la brochure sont présentés, commentés et approuvés : “la liberté de la presse doit être une loi constitutive d’un gouvernement sagement organisé” (p. 325).

p. 326-336. Réflexions sur la Philosophie du dix-huitième siècle.

[Note. Déjà publié dans le Journal général de l’Europe, avec le titre Coup-d’œil philosophique sur la Philosophie du 18e. siècle (1786, t. III, p. 71-74) ; F. ajoute ici qualques réflexions finales].

Contre toute barrière et division, territoriale et sociale, et contre tout privilège, ignorance, corruption ; F. souhaite (p. 336) que les États généraux puissent mener des réformes visant au bien-être social, à l'affirmation de la liberté de conscience et de presse et au respect, dans les choix économiques, des droits et des lois naturelles.

p. 337-375. “Suite de l’Analyse de l’Encyclopédie méthodique […]. Agriculture.” Le jugement de F. sur l’article Agriculture de Démeunier (voir supra) est modérément positif pour les contenus des premières sections, alors qu'il devient critique (p. 343 s.) pour les deux dernières, concernant “les obstacles qui s’opposent à la perfection de l’agriculture” et  “ses rapports avec le commerce”; ici, Démeunier montre des “notions fausses, ou confuses, ou incohérentes, et très-opposées surtout à ces maximes d’éternelle vérité que l’ingénieux Mr. Grivel a rapportées dans l’article Agricole” (p. 344). Les critiques de F. portent essentiellement sur la taxation des terres, de l'industrie et de la circulation des richesses. Démeunier ignore (p. 346) que la “taxe des terres” ne doit être demandée qu'aux propriétaires fonciers et dans une mesure non préjudiciable à la “reproduction suivante” ; il croit à tort qu'une amélioration économique peut se produire grâce à l'augmentation des “masses de l'argent” : mais l'argent n'est qu'une marchandise et, en tant que telle, sa valeur diminue plus elle devient courante (p. 358). Le commerce est une forme d'échange, “un contrat d'égalité où l’on donne valeur pour valeur égale” (p. 359) : il doit être toujours répiproque, achat et vente, car la vente seule est destinée à ruiner, au fur et à mesure, acheteur et vendeur. Autre remarque critique : Démenieur ne prend pas en compte (p. 361) l'existence d'un commerce intérieur circulaire, et au lieu de soutenir une liberté absolue et nécessaire, par exemple dans le commerce des bleds, il y introduit des limites prohibitionnistes (p. 364 s.). Tout simplement, pour F. un sage gouvernement doit ignorer le commerce en s'abstenant de toute intervention, et la production agricole n'a pas non plus besoin de réglementation, mais seulement d'être soumise “à la loi générale de la liberté” (p. 372).

[Note. À propos de ce commentaire, voir Weulersse, p. 29; plus en général, sur les thèses de F. voir idem, p. 28-30; p. 41-44 ; p. 199-200 ; p. 203-204 ; p. 208].

p. 375-393. États généraux en France. Éloge de l’“auteur anonyme” (Jean-Nicolas-Marcellin Guérineau de Saint-Péravi, 1735-1789), qui a rédigé un Essai sur les principes à adopter par les Etats-généraux (s.l., 1789) : “il a exposé de la manière la plus concise, mais la plus énergique et la plus lumineuse, les principes que les États-généraux devroient s’empresser d’adopter pour en faire la base des loix fondamentales de ce beau royaume” (p. 375-376). Les É. publient un extrait consistant du texte de Saint-Péravi, dans lequel sont réaffirmées les principales thèses et requêtes de réforme avancées par les physiocrates, à partir d’une constitution inspirée par le droit naturel et social.

[Note. Saint-Péravi passe ses dernières années à Liège, dans l’indigence (A. G. Becdelièvre-Hamal,  t. II, p. 491-493)].

p. 394-404. Lettre de Mirabeau à Mr. l’Évêque de Langres, sur sa brochure intitulée: [Sur la] forme d’opiner aux états-généraux (s.l., 1789). F. rapporte, sans le commenter, le texte intégral du discours de Mirabeau, qui attaque en détail l'hypothèse de diviser les États généraux en deux assemblées différentes (noblesse et clergé dans l'une, troisième état dans l'autre).

Rubriques

“Analyse(s)” ; “Administration”.

Historique

Tant dans le titre que dans le contenu le périodique renvoie aux différentes Éphémérides (1765-1772 ; 1774-1776 ; 1788) de Nicolas Baudeau, journaux de référence pour tout le mouvement physiocratique et importants vulgarisateurs des thèses économico-politiques de Quesnay et de son “école”. De même, il se situe en continuité avec les presque homonymes allemandes Ephemeriden der Menschheit, oder Bibliothek der Sittenlehre, der Politik und der Gesetzgebung, créées par le philosophe, historien et économiste Isaak Iselin (1728-1782) à Bâle en 1776, qui consacrent également un large espace aux questions relatives à l'agriculture et aux demandes de réformes économiques, politiques et administratives soutenues par les physiocrates. À ce propos, voir L. Chalmel (p. 60-61, qui mentionne aussi D. Tröhler, Pauvreté, travail et éducation dans le discours patriotique, dans Johann Heinrich Pestalozzi – Écrits sur l'Éxperience du Neuhof, «Dix-huitième siècle», vol. 36 (2004). Le prospectus du journal d’Iselin est traduit en français et commenté positivement en 1776 par un des principaux coopérateurs de Baudeau, Saint-Maurice de Saint-Leu (Nouvelles éphémerides économiques, mars 1776, pp. (77)-115; voir aussi le Journal des sciences et des beaux arts, mai 1776, pp. 244-252).

Encore plus direct et solide enfin, apparaît le lien des É. avec le Journal général de l’Europe, dont F. reprend, concentre et aligne ses idées physiocratiques, en y récupérant également - en particulier dans les cahiers du deuxième trim. – articles et “analyses”. En 1791, la Correspondance littéraire secrète de Mettra,  en présentant à ses lecteurs l’Écho de l’Europe, “par l’abbé Freville”, spécifie  que ce dernier “a travaillé à Herve au journal de le Brun, et qu’il a formé” (27 févr. 1791, p. 80). Un dialogisme intertextuel intense caractérise donc les É. À cette dotation primaire F. ajoute  des c. r. détaillés traitant questions et ouvrages faisant partie de l'actualité politique la plus immédiate, et il emploie tout ce matériel pour la mise en œuvre d’un périodique spécialisé qui, à la veille des États généraux se donne l'objectif militant de relancer avec force, dans l'intense débat en cours, la leçon et les mots d'ordre physiocratiques. En effet, une intention d'information et de vulgarisation est continuellement sous-entendue, mais souvent directement explicitée dans le périodique. La première personne du pluriel que F. utilise toujours lorsqu'il explique et illustre les différents énoncés - en revenant constamment sur des définitions et des explications déjà données : une véritable vocation didactico-pédagogique – ne semble pas impliquer ou faire allusion à la pluralité d’un travail rédactionnel mais, plutôt, souligner une appartenance souvent revendiquée avec orgueil, un choix de domaine où le rédacteur se range avec conviction aux côtés des autres “économistes” et politologues votés, comme lui, à la bonne cause physiocratique : “notre unique ambition est de déraciner des opinions funestes, et d’exposer des opinions utiles, avec la clarté et la précision nécessaires pour les rendre familières et utiles” (vol. I, p. 110). Ce didactisme, d'ailleurs, est pleinement confirmé par les nombreux ouvrages à caractère pédagogique de F. et par ses emplois en tant qu'instituteur. Le terme “instruction” revient fréquemment dans les É., souvent opposé à “ignorance” et associé à “vérité” ; c’est la même attitude que  Conan  (p. 268)  retrouve chez Grivel (voir supra).

Bien que de brève durée, la tentative des É., “dernière flamme du dogmatisme et de l’intransigeance physiocratiques” (Weulersse, p. 28), témoigne comment les discussions et les disputes suscitées par Quesnay et par son école - qualifiée avec mépris de “secte” par ses nombreux détracteurs - en 1789 n'avaient pas encore cessé d'intéresser un certain public (à ce propos, voir encore Conan, p. 269).

Compétence, modération mesurée et équilibre : dans son Dictionnaire du Patriote, publié tout juste en 1789, Aubert de Vitry trace (p. 211) ce profil synthétique de F. : “On le dit attaché aux principes des économistes, mais sans être aveuglé par l’esprit de parti. Homme simple et point intriguant; solitaire et peu connu, quoique plein de lumières et de connoissances politiques”. Weulersse (p. 29) confirme le “ton mesuré” des É. L'abbé Mulot, par contre, dans son journal note, en le stigmatisant, l'athéisme “impie” et “paradoxal” de F., “docteur économiste” (Mulot, 6 févr. [1782], p. 93-95.

Localisation, collections connues, exemplaires rares

Paris, BnF, 8-R-7064 : exemplaire étudié. Deux volumes reliés en un tome :

-“Premier volume” : cahiers n° 1-6, trim. janv.-mars 1789 ; sur l’anti-porte, mns. : “Ex Dono Authoris”; p. 400.

-“Second volume” : cahiers n° 7-12: trim. avr.-juin 1789 ; p. 404.

Autre exemplaire retrouvé (2 vol., même consistance) : Paris, Bibliothèque de l’Institut de France : 8° M 162 A ; la même bibliothèque possède aussi un exemplaire du premier numéro du journal, correspondant à l’Introduction : 8° GX 199 14, dans un recueil factice (t. 3, n° 3) où l’on trouve une mention notée à l’encre sur la page de titre : “Par Flissel et Fréville” ; dans l’index manuscrit des “titres des pièces contenues dans ce 3e volume”, on lit : “3e. Ephemeride [sic] de l’humanité par Flissel et Freville”. Ce préfacier Flissel reste complètement inconnu (information fournie par Mme Sylvie Biet, Conservateur en chef de la Bibliothèque de l'Institut de France).

Bibliographie

-   Jean-Baptiste-René Robinet et al., Dictionnaire universel des sciences morale, économique, politique  et diplomatique,  à Londres, chez les Libraires associés, 1777-1783.

-   (Anne-François-Joachim Fréville), [Analyse des] Réflexions impartiales sur l’Amérique, Ouvrage traduit de l’Anglois, L’Année Littéraire, 1781, t. V, p. 289-313.

-   Idem, Lettre au Rédacteur de L’Année Littéraire, L’Année Littéraire, 1781, t. VIII, p. 41-72.

-   Annonces, Articles et Avis divers (suppl. du Journal général de l’Europe), “Sam. 3 Janv. 1789”; “Mardi, 27 Janv. 1789”.

-   Gazette de Liège (Avertissemens de Liège, n° 20), “Du Lundi 16 Février 1789”.

-   François Jean Philibert Aubert de Vitry, Jean-Jacques Rousseau à l’Assemblée nationale,  à Paris, rue de Hurepois n°25, 1789.

-   Lettre sur la suppression de tous les impôts, adressée à Nosseigneurs de l'Assemblée Nationale, à Paris, chez Nyon le jeune, 1789.

-   Journal Encyclopédique, 15 nov. 1789, pp. 33-42 ; déc. 1789, pp. 389-393.

-   Déclaration des droits du citoyen, et application de ces principes à la constitution de la Nation Françoise, s.l., s.d. (1789/1790).

-   Annonces de bibliographie moderne, à Paris, chez Lavillette, 1790.

-   Correspondance littéraire secrète, (Neuwied), “le 27 Février 1791”.

-   Supplément au Catalogue de Mr. du Bois Schoondorp, s.l., (1804).

-   Joseph-Marie Quérard, La France littéraire, Paris, Firmin-Didot, 1827-1839.

-   Antoine Gabriel de Becdelièvre-Hamal, Biographie liégeoise, Liège, Imprimerie de Jeunehomme Frères, 1836-1837.

-   François Xavier de Feller, Biographie universelle, ou Dictionnaire historique des hommes qui se sont fait un nom, Paris, Leroux et al., 1847-1850.

-   Ulysse Capitaine, Recherches historiques et bibliographiques sur les journaux et les écrits périodiques liégeois, Liège, Desoer, 1850.

-   Idem, Recherches sur l’introduction de l’imprimerie dans les localités dépendant de l’ancienne principauté de Liège et de la province actuelle de ce nom, Bruxelles, Olivier, 1867.

- Le Bibliophile belge, Bruxelles, Olivier, n° I (1866).

-   Xavier De Theux de Montjardin, Bibliographie liégeoise, Bruxelles, Olivier, 1867.

-   Alexandre Barbier, Dictionnaire des ouvrages anonymes, Paris, Daffis, 1872-1879.

-   Henri Francotte, Essai historique sur la propagande des encyclopédistes français dans la principauté de Liège, Mémoires couronnés et autres mémoires publiés par l'Académie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique, Bruxelles, Hayez, vol. XXX (1880).

-   Dictionary of Political Economy, par R. H. Inglis Palgrave,  London/New York, MacMillan, 1894, vol. I, p. 747.

-   J. Fr. E. Robinet, A. Robert, J. Le Chaplain, Dictionnaire historique et biographique de la Révolution et de l’Empire 1789-1815, Paris, Librairie historique de la Révolution et de l’Empire, (1899).

-    François Valentine Mulot, Journal intime (1777-1782), par M. Tourneux, Mémoires de la Société de l’histoire de Paris et de l’Île de France, Paris, Champion, t. XXXIX (1902).

-   Bernadette Vanderschuren, Les premières années du Journal général de l'Europe”, La Vie wallonne, t. 34 (1960), pp. 245-282.

-   Pierre-Marie Gason, De Rousseau aux méfaits des contrefacteurs: une correspondance de Lebrun-Tondu avec la maison Barde et Manget, dans  Cinq siècles d’imprimérie genevoise – Actes du colloque international sur l’histoire de l’imprimerie et du livre à Genève - 27-30 avril 1978, par J.-D. Candeaux et B. Lescaze,  Genève, Société d’histoire et d’archéologie, 1981, p. 185-200.

-   Georges Weulersse, La physiocratie à l’aube de la Révolution 1781-1792, par Corinne Beutler, Paris, Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, 1985.

-   Jules Conan, Une utopie physiocratisante : l'“Ile inconnue” de Guillaume Grivel, Annales historiques de la Révolution française, n° 265, 1986. pp. 268-284.

-   Pierre Rétat, Les journaux de 1789 : bibliographie critique, Paris, Centre national de la recherche scientifique, 1988.

-   Henri Higgs, Bibliography of Economics 1751-1775, Cambridge, Cambridge University Press, 1990.

-   Carlo Pancera, La littérature pédagogique mineure pendant la période révolutionnaire et républicaine, dans Révolution française, 1988-1989 – Actes des 113e et 114e Congrès des Sociétés Savantes, Paris, Éditions du C.T.H.S., 1991, p. 219-228.

-   Loïc Chalmel, Réseaux philanthropinistes et pédagogie au 18e siècle, Bern, Lang, 2004.

-   Anthony Mergey, La contestazione dell’idea tradizionale di ’Province’ nel XVIII secolo, Amministrare, Rivista quadrimestrale dell'Istituto per la Scienza dell'Amministrazione pubblica, 1 (suppl. ) / 2012, p. 67-102.

-   Anthony Mergey, Le contrôle de l’activité législative de la nation en 1789. L’opinion de Dupont de Nemours, Journal  of Interdisciplinary History of Ideas, 3/2014, Issue 5, Section 2, p. 1-32.

-   François Quastana, Mirabeau, lecteur et “passeur”des textes républicains anglais, Philosophical Enquiries, n° 8 (juin 2017), p. 95-117.

-   Fabio Marinai, Fra Ancien Régime e Révolution: disgrazie e fortune di un imprimeur-libraire, Joseph-Étienne Legrand-Lavillette (17../1827), Rivista di letterature moderne e comparate, 73 (2020/1), p. 21-41.

Auteur additif

Date indexée

1789