Au cours de son existence relativement brève, Le Censeur hebdomadaire change plusieurs fois de formule ou de ton, évoluant rapidement et de manière surprenante.
Ses créateurs, Pierre-Louis d'Aquin (1760-1796 ?), fils du célèbre organiste, et Abraham-Joseph de Chaumeix (1725-1773), fervent adversaire des encyclopédistes, commencent par emprunter une voie originale mais difficile et tentent de se distinguer parmi la foule des journaux littéraires du milieu du XVIIIe siècle. Ne se contentant pas de présenter et de commenter les nouveautés littéraires – le Censeur à ses débuts ne traite qu'exceptionnellement de questions scientifiques – d'Aquin et Chaumeix aspirent à jouer le rôle de censeurs en matière esthétique : «Le fonds principal de cet ouvrage périodique sera l'exposition des règles de la Littérature. Nous avons pensé qu'il ne suffisoit pas de reprendre les ouvrages qui pèchent par cet endroit, mais que, de plus, il falloit faire connoître aux auteurs que l'on censure la justice de la critique, afin, par là, de les engager à se corriger» (1760, t. I, p. 3). «Chaque feuille commencera toujours par un article dans lequel on exposera quelques-unes des règles à suivre ; on pourra en former par la suite un traité complet [...] Les règles se trouveront ensuite appliquées dans les autres articles de chaque feuille. Ainsi les deux Parties de notre journal peuvent être regardées de même qu'un corps complet de littérature, très-propre à rappeller le bon goût, si méconnu de nos Auteurs modernes» (p. 4).
Ils se veulent également des guides spirituels. Délaissant le théâtre et les «bagatelles poétiques» pour se consacrer à des sujets généralement graves ou élevés (littérature d'idées, histoire, religion, métaphysique), ils se déclarent en lutte contre ['«esprit de doute et d'incrédulité, qui gâte les meilleurs ouvrages» (ibid.). Il s'agit d'opposer un barrage à la mauvaise littérature, à la décadence du goût, de dénoncer les faux talents, de sauver le legs classique. Le journal, en fait, d'une part combat vigoureusement Encyclopédie (nombreuses attaques contre d'Alembert), la philosophie des Lumières et de manière générale la nouveauté (inoculation), d'autre part défend résolument la religion et le goût ancien (littérature gréco-romaine, auteurs «classiques» du XVIIe, Boileau, Corneille, Molière, Racine, La Fontaine étant proposés comme modèles).
Cela vaut au journal d'essuyer les moqueries des philosophes (dans le Neveu de Rameau, les auteurs du Censeur sont présentés comme les membres d'une clique anti-philosophique, la «ménagerie Bertin») et de lasser le public. Après environ deux mois de parution, le journal fait son auto-critique et se soumet au verdict et aux demandes des lecteurs (Avertissement, 1760, t. II). Il va connaître plusieurs modifications : la formule de parution change, 65 cahiers par an sont annoncés au lieu des 52 initialement prévus, le prix au numéro baisse (de 12 à 8 s.) et surtout Chaumeix, voulant officiellement se consacrer à sa lutte contre les encyclopédistes, quitte le journal (Avertissement du libraire, 1760, t. II, p. 416). D'Aquin, dont l'attitude à l'égard de la Philosophie est nuancée (cf. La Semaine littéraire) et qui correspond d'ailleurs occasionnellement depuis plusieurs années avec Voltaire, qu'il admire, est sans doute en désaccord avec l'orientation franchement anti-encyclopédique et anti-philosophique donnée au journal par Chaumeix, auteur des articles sur l'Encyclopédie (Avertissement du libraire, 1760, t. II, p. 416). Une lettre de d'Aquin à Voltaire de juin 1764 témoigne des divergences qui existaient probablement dès 1760 entre les deux hommes : d'Aquin s'y gausse du «convulsionnaire Chaumeix» (Best. D11906). Passé le deuxième tome, les ouvrages de Chaumeix ne sont même plus annoncés.
Le ton et le contenu du journal changent alors radicalement : le Censeur renonce à édicter des règles, les sujets de métaphysique et de religion, jugés rebutants par le public, sont délaissés de même que les attaques contre Encyclopédie. La guerre menée par les Philosophes est perdue, il est inutile de battre des gens à terre, affirme le journal, non sans noter, plus réaliste : «C'est à la volonté du plus grand nombre qu'un journaliste est obligé de céder» (Avertissement, 1760, t. II, p. 3). Les sujets abordés, dès lors, sont moins graves et se diversifient : théâtre, poésie légère, romans, musique, annonces, nouvelles de la République des Lettres font leur apparition ou suscitent un plus grand nombre d'articles. Aux ambitieuses et pesantes dissertations du début, aux critiques vives et acerbes succèdent des articles plus courts, écrits dans un style plus alerte, faisant, à la demande des lecteurs ibid., p. 4), une place plus grande aux extraits d'ouvrages. Le Censeur devient moins partisan.
Si le journal ne renonce pas définitivement à la polémique (Voltaire est égratigné, La Condamine moqué), il abandonne son rôle de censeur pour celui, jugé peut-être moins périlleux, d'arbitre. Il condamne les excès de plume, les critiques outrées, quelles que soient leurs origines, et appelle de ses vœux «une paix du Parnasse». Quand il aborde des sujets de controverse, notamment en rendant compte de libelles, il adopte un ton mesuré. Le Censeur soutient ainsi, avec fermeté ou avec des réserves, Lefranc de Pompignan, Palissot et le Journal de Trévoux, lorsqu'ils sont attaqués, dénonce l'audace des «nouveaux écrivains» et la Philosophie. Dans le même temps, il défend Rousseau, Montesquieu, réapprécie d'Alembert, loue chaleureusement Voltaire, qui s'est associé à d'Aquin dans une initiative en faveur de la nièce de Corneille.
Sans adopter une ligne nettement définie, le journal continue d'évoluer au cours des années 1761 et 1762. S'engageant de moins en moins, il traite de sujets souvent insignifiants, d'ouvrages badins, augmente la taille et le nombre de ses extraits d'ouvrages, fait une place encore plus large aux pièces qui lui sont confiées (fables, poésies légères), aux nouvelles (théâtre, académies, musique) et aux annonces. Le Censeur, rompant apparemment de manière définitive avec son projet initial, devient peu à peu un chroniqueur, un spectateur, qui se veut neutre, des querelles de son temps. Cependant il paraît de plus en plus favorable, malgré certaines dénégations, au camp des Philosophes, en passe selon lui de gagner la bataille du Parnasse.
Le journal se réfère encore épisodiquement à Boileau, à Molière, prend la défense de la religion et de la morale (le roman est acceptable lorsqu'il est moral), dénonce une certaine philosophie. Il penche en fait de plus en plus fréquemment en faveur des Philosophes, de ceux qu'il appelle les «vrais Philosophes», dont d'Alembert serait un prototype. Il critique aussi à plusieurs reprises et vigoureusement Fréron dans des allusions transparentes ou des comptes rendus favorables d'ouvrages hostiles au «Tyran périodique». Il ne manque surtout pas une occasion d'encenser Voltaire, l'Homère, le Virgile français, doté d'une «plume d'or». Il prend systématiquement sa défense, fait connaître ses œuvres, publie de petites pièces, des morceaux oubliés ou peu connus du philosophe.
En retour, Voltaire semble marquer quelque intérêt pour ce journal qui lui est si favorable. Il considère même à un moment, dans sa Correspondance, le Censeur comme un allié, un auxiliaire susceptible d'aider à la diffusion de certaines de ses idées : «J'estime qu'il conviendrait assez que mr Daquin imprimât dans son hebdomadaire cette petite réponse et qu'il en envoyât des exemplaires à tous les intéressés» (Best. D9573, 25 janv. 1761).
Dès 1761, le Censeur devient un journal pro-voltairien. D'Aquin y gagne la considération de Voltaire, qui lui envoie ses livres, s'enquiert de lui, souscrit à son Avant-Coureur (Best. Du 901). Le journal y perd de son intérêt : en tentant manifestement de trouver un juste milieu, en abandonnant le terrain de la polémique, en versant dans la flatterie assez plate à l'égard de Voltaire, il s'affadit.
Le journal perd aussi de sa substance. Dès le début de 1762 le journal, passé sous le contrôle d'un groupe de libraires, n'annonce plus que trois volumes de 416 p. pour l'année. Le prix au numéro baisse encore (de 8 à 6 s.), celui de l'abonnement baisse de moitié (9 £). La livraison ne compte plus que 24 p. (en avril on a un numéro de 8 p.) et à partir de fin septembre il ne paraît plus qu'un numéro de 48 p. tous les quinze jours. Les articles, souvent courts (certains ne dépassent pas huit lignes), portent sur des sujets généralement anodins et ne sont parfois qu'une série d'extraits rapidement introduits. C'est un jugement sévère mais justifié que Bachaumont porte sur le journal au début de 1762 : «8 février 1762. Le Censeur hebdomadaire de M. Daquin, commencé en 1760, se continue cette année, mais son abondance est tarie de moitié. Ces feuilles ne seront plus que de 24 p. in 8°. Ce journaliste n'est ni profond ni plaisant. Comme c'est celui qui se reproduit le plus souvent, il est à même de se saisir de ce qui paraît et d'en orner son ouvrage. C'est un auteur précaire, qui ne se soutient absolument que par le travail des autres».
Œuvre secondaire d'un écrivain mineur, journal sans ligne nettement définie, chroniqueur de l'éphémère, s'intéressant aux aspects souvent les plus anodins de l'actualité littéraire et artistique, Le Censeur hebdomadaire n'est certes pas un grand journal. Mais s'il n'a pas la solidité des grands périodiques, il a souvent, au début, de temps en temps sur la fin, l'agrément et la fraîcheur des petites feuilles. Il fourmille d'informations sur la presse (apparition de titres, prospectus ...), la République des Lettres, le monde du théâtre (carrière d'une pièce, compliments...) et de la musique (rares et précieux comptes rendus de concerts). On trouve également dans cette gazette des arts de nombreux extraits de libelles et de brochures difficiles à se procurer. Le Censeur est ainsi un témoin intéressant et parfois plaisant des querelles artistiques et esthétiques de son temps.
Sans doute d'Aquin pèche-t-il par excès de modestie, lorsque sur le mode de l'auto-dérision, il fait, dans une lettre à Voltaire, le bilan de son expérience en 1764 : «Je fus censeur hebdomadaire / C'est n'être rien, la chose est claire...»
(Best. D11906).