Agée de 23 ans, Anne Marguerite Petit s'était réfugiée pour la première fois en Hollande en mai 1686 pour échapper aux persécutions des dragons venus occuper Nîmes à la suite de la révocation de l'Edit de Nantes. A la fin de la même année, elle rentre en France et habite à Paris chez son oncle Cotton. Celui-ci la poussant à se convertir au catholicisme, elle tente de nouveau de quitter la France pendant l'été 1687. Rattrapée à Dieppe alors qu'elle est sur le point de s'embarquer pour l'Angleterre, elle est ramenée à Paris et enfermée à l'Institut des Nouvelles Catholiques puis au couvent de l'Union chrétienne, rue Saint-Denis. Elle en sort le 18 mai 1688 pour épouser un capitaine au régiment de Toulouse, Guillaume Dunoyer, renonçant de ce fait à la foi protestante.
Les relations entre les deux époux s'étant par la suite peu à peu dégradées, Mme Dunoyer, en compagnie de ses deux filles, Anne, 12 ans, et Olympe, 9 ans, se réfugie de nouveau en Hollande à la fin de l'été 1701. Les premières années du refuge sont difficiles, Mme Dunoyer devant à la fois faire face à une situation financière précaire et à l'hostilité ouverte d'une partie du milieu réfugié qui lui reproche ses intrigues et met en doute la solidité de sa foi. Dans ses Mémoires, qu'elle commence à rédiger au printemps 1703 pour répondre aux attaques dont elle est l'objet de la part des « ligues offensives et défensives » formées contre elle par « la gent réfugiée », elle se décrit alors au bord de la misère, mangeant en « chambre garnie » le « pain de l'angoisse », mettant en gage ses bijoux et confectionnant des coiffes de perruque et des bourses en fil de soie pour survivre. Ecrire va être d'abord pour Mme Dunoyer une ressource. Elle le fait poussée à la fois par le besoin d'argent et par le souci de se justifier, de « donner une juste idée [d'elle-même] dans un temps où la calomnie tâche de défigurer les gens » (Mémoires, Cologne, 1710-1711, t. I, p. 21-22 ; t. III, p. 261, 281 ; t. IV, p. 26, 34; et passim). Le succès de ses Mémoires et de ses Lettres historiques et galantes, la rédaction de La Quintessence, dont elle obtient le privilège en 1711, vont lui permettre d'assurer sa fortune sinon sa position.
Vie et écriture sont toujours étroitement mêlées chez Mme Dunoyer, et l'origine des Lettres historiques et galantes se trouve très probablement dans sa propre correspondance, « un badinage […] établi d'abord pour le plaisir » (Lettres nouvelles, éd. 1910, p. 99) et repris par la suite pour servir de cadre à une publication. Dans les Lettres historiques et galantes, deux amies, l'une habitant Paris, l'autre à la suite de son mariage, voyageant et résidant en province et à l'étranger au gré des « affaires » de son mari, échangent une correspondance et se communiquent réciproquement les nouvelles intéressantes qui viennent à leur connaissance. Les voyages et séjours de la « dame de province » correspondent à ceux de Mme Dunoyer : Nîmes, Orange, où, orpheline, elle a passé une partie de son enfance recueillie par sa tante Saporta ; Lyon, où elle se cache fin décembre 1685, cherchant à gagner la Suisse pour échapper aux « dragonnades » ; Avignon, Nîmes, où elle revient vivre en 1688, à la suite de son mariage avec Guillaume Dunoyer qui sera élu par la suite Premier Consul de la ville de Nîmes ; Montpellier, Toulouse, où les deux époux résident après 1694, à la suite de l'achat de la charge de Grand Maître des Eaux et Forêts du Languedoc ; Quillan, Barèges, Bagnères-de-Bigorre, qu'elle visite, accompagnant son mari dans ses tournées ; Aix-la-Chapelle, Utrecht, La Haye, où elle séjourne après avoir quitté la France. L'identité de la « dame de Paris » n'est pas révélée mais il semble qu'il s'agisse d'une amie de Nîmes venue résider à Paris. La correspondance entre cette « dame de Paris » et Mme Dunoyer a sans doute débuté après le mariage de Mme Dunoyer et son départ en province à la fin de 1688, ce qui explique que les deux premiers volumes, bien que publiés en 1707 et 1708, traitent pour la plupart d'événements qui se sont passés dans les dernières années du XVIIe siècle – « ces lettres ont été écrites avant la Paix de Ryswick […] et on y parle des choses sur le pied qu'elles étaient dans ce temps là » (Avis au lecteur, t. I).
L'existence d'une correspondance personnelle qui serait à l'origine des Lettres historiques et galantes est confirmée par la publication, séparément, à Nîmes, en 1713, des Lettres nouvelles dans lesquelles on retrouve des lettres dues à Mme Dunoyer. Dans ces Lettres nouvelles, qui reprennent la même formule que les Lettres historiques et galantes, l'une des correspondantes raconte qu'elle a un jour acheté à un colporteur quelques livres « défendus » de Hollande parmi lesquels se trouvaient plusieurs œuvres de Mme Dunoyer. En ouvrant le premier volume des Lettres historiques et galantes, elle découvre à sa surprise que son « petit commerce de lettres » y est exposé au grand jour : « si tôt que mon marchand fut parti, je commençai à parcourir vos Lettres galantes ; je ne fus pas je vous l'assure peu surprise de m'y reconnaître pour votre fidèle correspondante : je tremblai à chaque feuille d'y trouver mon nom. Je n'étais pas moins surprise que vous ayiez rendu public un badinage que nous n'avions établi que pour le plaisir » (éd. 1910, p. 98). C'est sans doute à cette correspondante, la « dame de Paris », que l'on doit l'édition des Lettres nouvelles : celle-ci n'aurait en fait que rendu la pareille à Mme Dunoyer en publiant de son côté des lettres qu'elle avait reçues de son amie. Après la mort de Mme Dunoyer, les Lettres nouvelles seront incluses dans plusieurs rééditions des Lettres historiques et galantes. Elles y sont présentées comme une suite de celles-ci (Amsterdam, Pierre Brunel, 1726), ou simplement incorporées au texte original (Amsterdam, Par la Compagnie, 1760).
Les Lettres historiques et galantes ayant leur origine dans une correspondance personnelle, il est possible qu'elles aient circulé, à un moment ou à un autre de leur élaboration, sous forme manuscrite. La « dame de province » mentionne simplement qu'elle lit et « prête » ses lettres dans les sociétés où elle se trouve (L. 35, et passim), une pratique sociale courante à l'époque. Publiées à partir de 1707, elles ont un succès immédiat et qui ne va pas se démentir tout au long du XVIIIe siècle. Dès 1708 le premier tome est réédité, et en 1714 les deux premiers tomes en sont déjà à leur quatrième édition. Ce succès était prévisible, remarque le rédacteur des Nouvelles de la République des Lettres :« ceux qui connaissent un peu [le] goût du public d'à présent, eussent pû, à coup sûr, faire l'Horoscope de cet ouvrage avant qu'il fut publié », car aux « Nouvelles publiques, accompagnées d'ordinaire de jolies réflexions », s'ajoutent des « Nouvelles et Histoires particulières avec le plus souvent les noms de ceux qui y ont la meilleure part », et le « caractère » des « deux dames qui s'écrivent [en] n'affect[ant] point d'avoir de pruderie, ni une vertu trop scrupuleuse », n'est point « outré » : il correspond à celui des « dames de la Cour [qui] se donnent aujourd'hui beaucoup de liberté » (N.R.L., juil. 1708, p. 103-105).
A la « dame de Paris » qui est, sans doute pour les besoins de la fiction, introduite à la Cour, est dévolu le rôle de rapporter « tout ce qui fait présentement raisonner la Cour et la Ville », aussi bien les affaires politiques et religieuses que les engouements, les aventures, « les intrigues et les plaisirs », des gens du monde et du demi-monde. Aux nouvelles d'actualité, « nouvelles circonstanciées » ou conjectures sur « les choses que l'on ne sait qu'à demi », se mêlent de « vieilles nouvelles » présentées avec un « tour de nouveauté », des « histoires » qui « sentent le roman » ou qui sont « assaisonnées de [ce] sel satirique […] qui réveille l'appétit du lecteur », des anecdotes, des poèmes, des chansons, qui courent les rues ou les salons, « tout ce qui constitue l'Evangile du jour » à Versailles ou à Paris. Quant à la « dame de province », son rôle est de donner « la Carte » des villes qu'elle visite : quelques données historiques et géographiques, les curiosités et « antiquités » de la ville, les « nouvelles » et « histoires du pays », les « sociétés » qu'elle est amenée à fréquenter et dont elle décrit les usages, les goûts et les plaisirs.
Tout en voulant surtout borner leur « sphère » à une « moyenne région », celle de l'anecdote, de l'aventure, de l'intrigue, les Lettres historiques et galantes « raisonn[ent] [aussi] sur les affaires du temps » et jettent un regard critique sur la France dans les dernières années du règne de Louis XIV (L. 89, 103, 104, etc.). Au fil des lettres, s'expriment les « plaintes d'un peuple qui commence à être las de souffrir »: les guerres incessantes qui « coûtent tant de larmes et de sang », et la rage impuissante de ceux qui sont « les dupes des querelles des Princes » : « il nous importe fort peu que le roi étende ou resserre les limites de son royaume, pourvu que nous puissions manger notre pain en repos » et « à notre faim » (L. 14, 16, 65) ; le redoublement des taxes et des impôts, « charge sur charge et mal sur mal », et « la disette générale d'argent causée par les besoins de l'Etat et par les voleries [des agioteurs] » ; le faste arrogant de ces « Financiers et autres Maltotiers » qui s'enrichissent en « suçant le sang du peuple » mais que « la Cour protège pour le besoin » (L. 34, 47-58, 79, etc.) ; l'hypocrisie dominante, la corruption qui se cache sous la « grimace » de la dévotion, l'intolérance religieuse et les persécutions qu'elle entraîne, ces « bûchers et [c]es roues » qui sont à l'origine de « résolutions violentes» comme le soulèvement des Cévennes (L. 38, 42, 44, 90, etc.) ; la décadence de la noblesse, si « descendue» que bientôt il sera de mode d'acheter des « lettres de roture » (L. 83); la confusion des valeurs, la perversion d'un temps où il semble même « glorieux d'être battu », le roi « joign[ant] des récompenses aux défaites [de nos héros modernes] […], chose que nos Anciens n'avaient jamais pu concilier, mais le règne de Louis est fécond en miracles » (L. 58) ; les injustices, les violations du « droit des gens », la politique du « bon plaisir » d'un pouvoir arbitraire qui « dicte d'obéir au lieu de raisonner » : dans ce pays réduit « aux épines et chardons » règne la « raison du plus fort […] [du] loup de La Fontaine », et « l'on ne saurait [y] vivre sans être persécuté […] [par] la fureur de tous les Perturbateurs du repos public » (L. 56, 76, 84, 90, etc.).
Ainsi s'esquisse, à travers les Lettres historiques et galantes, « l'anatomie de la France », à la fin du règne de Louis XIV. On y retrouve non seulement les « justes murmures des sujets accablés » et leurs aspirations au « repos », à plus de justice, de tolérance et de liberté ; mais aussi un témoignage sur l'atmosphère de décadence, de « fin de règne », qui pousse, face aux « malheurs publics et particuliers », à essayer de profiter le plus possible de la vie : « faisons bombance tant que cela durera », « jouissons de la vie pendant que nous y sommes » (L. 34, 37, 62, etc.). Les Lettres historiques et galantes avancent aussi certaines idées qui « enverraient pour le moins les gens à la Bastille, s'ils s'avisaient de parler avec la même liberté à Paris ». Plaidant pour plus de tolérance et de liberté, elles s'interrogent par exemple sur l'utilisation politique de la religion – les différentes « sectes » qui se déchirent « adorent toutes le même Dieu » et « la Religion a toujours été un prétexte dont les Grands se sont servis pour couvrir leur ambition » –, ou comparent les mérites respectifs du « pouvoir arbitraire » et du « gouvernement républicain » – on doit donner des bornes à l'autorité des Rois, de peur qu'ils n'en abusassent […], et comme c'est des Peuples qu'ils la tiennent […], [ceux-ci] doivent, puisque ce sont eux qui font les rois, être toujours en quelque manière les maîtres et en état de leur faire faire leur devoir » (L. 42, 61, 90). Les Lettres historiques et galantes mettent ainsi à profit « la liberté dont on jouit dans les pays étrangers » pour dresser le tableau des « misères du temps présent » et dire des « vérités impunément ».
La liberté de ton de cette chronique qui est « scandaleuse » aussi bien par les anecdotes qu'elle contient que par le point de vue critique qu'elle adopte, le parti pris de dévoiler les circonstances et de « nommer les masques », mais aussi le style et le souci, chez Mme Dunoyer, de répondre aux attentes et aux demandes de son public, expliquent le succès des Lettres historiques et galantes.
Ecrites « avec esprit et avec beaucoup de vivacité » (N.R.L.), les Lettres historiques et galantes ont le naturel, l'aisance, la spontanéité d'une conversation – « je crois qu'on peut donner le nom de conversation à notre commerce » –, et l'attrait de la « rapsodie » qui plaît par la liberté et la diversité de sa composition, par cette absence de « méthode » qui n'est pas désordre ou qui n'est que le « désordre lié » et naturel de l'esprit – « je vous conte les faits comme ils se présentent à ma mémoire, et sans observer la chronologie » (L. 98, 102). En cela elles répondent au goût de l'époque qui demande que « l'on parle naturellement des choses » et que l'on substitue la « sincérité » à la « méthode » ou à la « flatterie » – « Si mes lettres ne sont pas belles, elles sont du moins de moi. Je dis bonnement ce que je pense sans emprunter les secours de l'Art » (L. 52, 84).
Mme Dunoyer sait ménager l'intérêt de son lecteur, « diversifier la scène » ou « les choses », « égayer » sa matière : « une trop longue narration sentirait plus le livre, si elle n'était pas interrompue à propos. Les petits intermèdes, ménagés avec soin, raniment l'attention de la personne qui lit […] [et] qu'une trop longue application sur un même sujet ne pourrait que fatiguer » (L. 74, etc.). Mme Dunoyer a aussi le sens du mot juste, celui de la formule qui résume ou frappe à propos, le talent de la « broderie » et des « circonstances agréables » qui donnent de l'attrait ou un « tour de nouveauté » aux histoires les plus connues ou les plus banales. Elle sait quand « nommer un chat un chat », utiliser si nécessaire ces « obscénités qui font le mérite d'une histoire », ou au contraire recourir au sous-entendu qui cache pour mieux révéler quand il s'agit de parler de « gens dont il ne faut jamais parler » ou de traiter de « matières délicates » sur lesquelles « il est dangereux de dire tout ce que l'on pense » (L. 7, 103, 111, etc.). Elle sait surtout allier « Histoire » et « Roman », donner à l'histoire les habits et les attraits du romanesque et au roman les apparences de la vérité. Dans son Misanthropei, Van Effen remarque qu'il n'y a « point d'auteur de son temps qui compose mieux une petite histoire que Mme Dunoyer et M. du Fresny ». Si le style de Dufresny est « plus vif et plus serré », « la dame l'emporte sur le monsieur par le naturel; elle ne cherche point les expressions, elles s'offrent d'elles-mêmes et se rangent dans leur lieu; tout autre mot n'y viendrait pas si bien » (XV, 24 août 1711). Dans un autre numéro de son périodique, mettant en parallèle « le génie des deux sexes », Van Effen pense encore à Mme Dunoyer quand il soutient qu'il n'y a « dans ce que raconte [une femme d'esprit], rien de sec, de forcé, de trop méthodique […] ; les femmes ont un certain talent pour dire les petites choses sans bassesse et les grandes sans enflures […] [et] c'est ce style aisé du beau sexe qui nous sait rendre les plus grandes fariboles intéressantes » (LXX, 1er août 1712).
On a souvent reproché à Mme Dunoyer de mêler mensonges et vérités dans ses œuvres tout en prétendant ne donner que « les choses sûres pour sûres, les fausses pour fausses, les douteuses pour douteuses » (L. 65). Le jugement de Voltaire, qui a été retenu, est, sur ce point, catégorique : « dans ces nouvelles du temps, je puis assurer qu'il n'y en a pas une de véritable […]. Cette dame avait ramassé les sottises du peuple, et dans les pays étrangers elles passaient pour l'histoire de la Cour » (Des mensonges imprimés, éd. Moland, t. XXIII, p. 432, et cf. Best. D6903). Cette condamnation sans appel doit cependant sans doute beaucoup au ressentiment de Voltaire à l'égard de Mme Dunoyer qui non seulement avait contrecarré ses amours avec Olympe et provoqué son rappel de l'ambassade de Hollande, mais qui avait aussi exposé l'affaire au grand jour dans les Lettres historiques et galantes. Le rédacteur des Nouvelles de la République des Lettres est plus nuancé dans son jugement : « On n’oserait assurer que toutes ces aventures soient vraies ; il n’y a même nulle apparence, ni que dans celles qui sont vraies, on n’y ait ajouté certaines circonstances pour les rendre plus agréables : mais je puis dire que j’ai été surpris d’y lire quelques aventures assez surprenantes, que je sais très certainement être arrivées, à peu près comme on les raconte » (juil. 1708, p. 104).
Le vrai, le vraisemblable, le fictif, se mêlent en fait constamment dans les Lettres historiques et galantes. Même si elle affirme qu'elle n'aime pas « débiter de fausses nouvelles » et qu'il est « essentiel dans les choses de fait d'accuser juste », Mme Dunoyer n'hésite pas à s'écarter de la vérité historique, se laissant emporter par ses convictions ou arrangeant la vérité afin de se justifier ou de ménager et faire avancer ses intérêts. Mais elle agit aussi ainsi parce qu'elle sait que sa publication ne peut prospérer qu'en amusant le lecteur et en piquant sa curiosité et qu'elle est condamnée par cela même à un succès de scandale. Le parti pris, qui est sincère, de montrer la « face cachée des choses », mais aussi le désir de prendre une revanche sur un homme qui l'a trompée, et l'habileté du journaliste qui sait comment tourner un sujet pour mieux « vendre son papier », se retrouvent par exemple dans sa relation de « l'histoire de Jean Cavalier », « ce zéro […] [qui] usurpa le nom de Héros », contenue dans la Lettre 43. Attaquant des personnages connus ou exposant avec complaisance sa vie privée, les infidélités de son mari ou les amours de ses filles, Mme Dunoyer n'hésite pas, au besoin, à provoquer ce « scandale » qu'elle sait nécessaire au succès de sa publication.
« Après avoir fait sonder le gué aux deux premiers volumes de [ses] Lettres [et] enhardi[e] par le bon succès qu'[elles] ont eu dans le monde » (Avis du libraire, t. III), Mme Dunoyer en continue la publication, avec une périodicité irrégulière, jusqu'à sa mort survenue au début de l'année 1719. La veine se tarit cependant peu à peu, et l'on sent dans les derniers volumes, comme le remarquait Voltaire, « un auteur qui est lassé d'avoir la plume à la main, et qui court au grand galop à la fin de l'ouvrage » (Best. D17). L'échange de correspondance n'est plus alors qu'un cadre commode que Mme Dunoyer remplit avec ce qui lui « tombe sous la main », une « Relation exacte de tout ce qui s'est passé dans les retranchements de Denain [...] le 14 juillet 1712 », la « Lettre circulaire de Sa Majesté la Reine de Grande-Bretagne » pour convoquer le congrès d'Utrecht, ou la liste des représentants des différents pays qui participent à ce congrès avec une description de leurs armes (L. 93, 95). Elle met à contribution les journaux de l'époque et les écrivains avec qui elle a été liée à un moment ou à un autre de sa vie, Mme d'Aulnoy, Le Noble, Gacon, Julien-Scopon, Thémiseul de Saint-Hyacinthe, ou n'hésite pas à publier, tout en prenant soin d'altérer les passages qu'elle juge offensants pour elle-même, les lettres que Voltaire et Guyot de Merville avaient envoyées à sa fille Olympe dont ils étaient amoureux – le public devrait apprécier un tel « présent » car il ne s'agit ni d'« une chose publique » ni d'« une production de l'esprit », mais d'« une affaire particulière dans laquelle le cœur [des auteurs] a beaucoup de part » (L. 106, 107). Mme Dunoyer puise aussi souvent dans d'autres de ses œuvres: elle réarrange et déguise sous les habits de la fiction certains passages de ses Mémoires, « faufile », pour reprendre son expression, dans le t. IV, les deux premiers et seuls numéros du Nouveau Mercure galant des cours de l'Europe qu'elle avait entrepris de publier à la fin de 1710, ou reprend dans les volumes suivants des « nouvelles », des histoires, des poèmes, parus dans La Quintessence qu'elle rédige à partir de 1711. L'inverse est d'ailleurs aussi vrai : on retrouve dans La Quintessence plusieurs histoires et anecdotes déjà publiées dans les Lettres historiques et galantes. L'« Histoire de l'abbé de Bucquoy », contenue dans plusieurs lettres du t. IV et dont se souviendra Gérard de Nerval pour un chapitre de ses Illuminés, sera par la suite reprise et publiée séparément (B.N., Ln27 3212).
Dans les derniers tomes, ce n'est plus que par endroits que l'on retrouve « l'esprit » et « le style » que Voltaire lui-même concédait aux premiers volumes des Lettres historiques et galantes (Best. D17). Mais, comme l'indique l'annonce en octobre 1718 d'un huitième tome qui ne paraîtra pas en raison de la mort de Mme Dunoyer, le succès des Lettres historiques et galantes ne se démentait pas et « le public […] en demand[ait] [toujours] avec empressement la continuation » (Q., 10 oct. 1718). Constamment rééditées, les Lettres historiques et galantes sont l'un des plus grands succès de librairie dans la première moitié du XVIIIe siècle.