Entre 1641 et 1655, 320 périodiques virent le jour en Angleterre, dont 80 portent pour titre : Mercurius... (accompagné d'un adjectif latin : aulicus, publicus, politicus, britannicus, fumigosus, etc.), dont un seul en français : Mercure Anglois. C'était des feuilles de nouvelles hebdomadaires, mais 33 seulement durèrent plus d'un an, et le Mercure Anglois malgré quelques interruptions, de 1644 à 1648 fut un des plus persistants (cf. Catalogue des Thomason Tracts, t. 2). Ce périodique est inconnu en France. Il a échappé à Hatin, et aux historiens Bastide et Ascoli. Le périodique qui figure au Catalogue collectif des périodiques de la B.N. sous le titre Mercure Anglois,n'est pas celui-là, mais une tentative avortée dont on ne connait qu'un seul numéro, de 1649, édité à Rouen par le sieur Ango.
Mais sur l'identification de l'auteur et le lancement du périodique, J.B. Williams, suivi par J. Frank, ne nous apporte que des hypothèses. Dillingham imprimait ses journaux chez le même imprimeur, et, à la date où le M.A. s'interrompt un peu longuement pour la première fois, au printemps 1645, Dillingham est en prison. Mais pourquoi le M.A., quand il reparaît, a-t-il quitté R. White, l'imprimeur de Dillingham ? L'attribution de la rédaction française à Cotgrave, sur la base d'un texte de Man in the Moon (autre périodique, de 1649) qui dit que Dillingham est «coupled to another of the same [breed] called Codgrave that can read french and translate foreign news», n'est pas plus convaincante, vu surtout la date. De plus, ces affirmations ne tiennent pas compte de ce que le M.A. dit de lui-même. La déclaration de la première page : «s'adresser à tous les réformés parce que leur prospérité et leur bonheur dépendent de ce qui se passe au Parlement d'Angleterre», a échappé à l'attention des historiens. Elle représente une vision politique fort intéressante à l'époque. Pourtant le prospectus ne dit pas la même chose. Il veut s'adresser aux marchands, et souligne l'intérêt des nouvelles pour les échanges commerciaux. D'ailleurs ce prospectus n'a pas servi à lancer le journal, qui a eu d'abord deux numéros, les 7 et le 14 juin puis a été «discontinued». Il est du 10 juillet, précédant d'un jour le n° 3, et sert donc à relancer le périodique, sur d'autres bases, semble-t-il. Que s'est-il passé, et qui est derrière ces publications ? Nous n'avons pas de réponse et ne pouvons que souligner ce que les historiens n'ont ni expliqué ni relevé.
Williams déclare que l'histoire du M.A. a été sans événements («uneventful»). Une note manuscrite au début de l'exemplaire du M.A. de B.L. indique le contraire : «These two volumes of the Mercure Anglois were not orderly and constantly printed as wille appeare by the breaking of their numbers. The reason was because they were diverse times called in for there lavish expressions».
En effet, nous pouvons constater un certain nombre d'interruptions. Au début de 1645, entre le n° 32 et 33 (23 janv.-6 mars) le journal ne paraît pas et l'imprimeur change. C'était Robert White, c'est Thomas Forcet. Et le numéro suivant, du 6 mars au 24 avril, couvre aussi une période de six semaines. A ce flottement de quatre mois le rédacteur ne donne aucune explication. Puis, entre le 13 novembre et le 4 décembre de la même année, le journal s'interrompt à cause de la mort de «l'auteur du Mercure». Le journal ensuite est régulier jusqu'au n° 65 du nouveau compte (1er avril 1647). Le suivant porte le n° 4 et la p. 13 d'un nouveau compte. Plusieurs numéros manquent et il n'est pas possible de savoir si le journal fut vraiment suspendu en avril pour ne reprendre qu'en juillet, sans doute avec le n° 1 du nouveau compte, qui n'est pas conservé, pas plus que le n° 2 et le n° 3. La rupture du nombre en pleine année semble bien signifier quelque arrêt de justice. La parution hebdomadaire reprend (manquent les n° 22 de déc. 1647 et 63 d'oct. 1648), jusqu'à la fin de 1648. Le M.A. suit l'arrestation de Charles Ier et la montée de Cromwell, et, un mois avant le procès et l'exécution du Roi, le M.A. s'interrompt définitivement, comme la plupart des autres journaux.
Une étude serrée du texte pour retrouver ces «lavish» expressions qui amenèrent les interpellations du rédacteur est encore à faire, et il est possible que ces interpellations aient laissé une trace dans les archives judiciaires, qui n'ont pas été explorées dans ce but. Il serait bon aussi de faire une comparaison avec la presse anglaise de l'époque, ce qui a été le propos de J. Frank dans son étude chronologique. Mais pour le M.A. certains renseignements de base et des éléments d'appréciation lui manquaient. Il qualifie, un peu vite, le M.A. de journal moyen et ennuyeux. Par rapport à la presse contemporaine, aux trois hebdomadaires édités chez White : Kingdom's Weekly, Mercurius britannicus et Parliament Scout, ou encore Perfect Diurnall, édité chez Coles, que nous avons comparés, date pour date avec le M.A., ce dernier se présente comme un journal modéré, peu critique, jamais ironique ni agressif. Où se cache l'outrance ? En tout cas il est entièrement rédigé, et non pas traduit, ou imité. Il est favorable au Parlement et à Cromwell, il l'a annoncé, mais il donne constamment des nouvelles du Roi, sans commentaire (qui commencent en général par : «le Roi continue...»). Mais quand il insère la traduction de la déclaration faite par le Roi aux églises protestantes de toutes nations, traduction officielle en français, faite à Oxford, il remarque que cette traduction omet la mention de la Sainte Religion et arrange la formulation anglaise : «ces mots de hiérarchie et de liturgie sont un peu forts pour les églises réformées de France et de Hollande». Cette réflexion a pour intention, on s'en doute, de faire apparaître la fourberie du Roi, s'efforçant de se dédouaner de sympathies catholiques et de se gagner l'appui des réformés du continent. Ce passage, qu'il faut lire entre les lignes, est significatif de l'impact souhaité par le rédacteur pour son journal, et on retrouve là la visée primitive : le champion de la cause protestante, c'est le Parlement.
D'une façon générale, il y a dans la rédaction de ce journal une distanciation par rapport à l'événement qui frappe comparée à la passion ambiante. On peut souligner aussi une identification à la cause qu'il soutient : «notre flotte, notre armée, notre Parlement», et pas mal d'anglicismes.
Il reste bien des énigmes : l'identification des rédacteurs, à chercher probablement parmi les huguenots de Londres, et aussi la distribution du périodique, et sa vraie destination : religieuse ou commerciale ? Les deux, sans doute. Enfin, sa nécessité, que seule soutient le fait qu'il ait duré quatre ans, ce qui est une sorte de record, et qu'il ait ouvert la voie à une nouvelle gazette française, 18 mois plus tard : Les Nouvelles ordinaires de Londres.